Avent 2018 : troisième semaine

Jésus serviteur

(Avent 2018 : troisième semaine)

Dans l’Ancien Testament, le livre d’Isaïe peut être défini comme un ‘livre ouvert’ qui a été sans cesse augmenté. De cette façon, il est devenu la ‘bibliothèque prophétique’ par excellence. C’est ainsi que, dans ce livre, on peut lire aussi des textes composés pendant des siècles après la vie du prophète. C’est le cas, en particulier, des chapitres 40-55. En effet, Isaïe a été appelé par Dieu vers l’année 740, mais avec les chapitres 40-55 nous sommes à l’époque du roi Cyrus, Cyrus qui a été roi de Babylone dès l’an 551 jusqu’à l’an 529. A cette époque, et depuis un demi-siècle, Jérusalem a été détruite et une partie importante de ses habitants sont en exil à Babylone. Parmi ces exilé(e)s, qui s’ouvrent à la civilisation et à la religion de Babylone, règne une attitude de résignation et de désespoir. Mais un prophète, dont les poèmes ont été insérés dans le livre d’Isaïe, réagit. Il présente Yahvéh comme le seul Dieu, le créateur, celui qui agit dans l’histoire. Oui, Yahvéh agit dans l’histoire et il intervient à travers son « serviteur ». A propos de ce serviteur, le prophète le présente dans quatre chants. Dans ces chants, le serviteur est un homme que Dieu appelle à une mission universelle.
Du premier de ces chants, pendant cette semaine je veux lire quelques versets avec toi. Je traduis :

1 Voici mon serviteur, que je soutiens, celui que j’ai choisi et que j’ai moi-même en faveur.
J’ai donné mon souffle sur lui ; pour les nations il apportera le droit.
2 Il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix, il ne la fera pas entendre dans les rues.
3 Un roseau courbé, il ne le cassera pas
et une flamme qui devient faible, il ne l’éteindra pas.
Mais il apportera réellement le droit.
4 Il ne se découragera pas, il ne se laissera pas abattre, </em
jusqu’à ce qu’il ait établi le droit sur la terre.
Même les îles éloignées attendent ses enseignements (Isaïe 42,1-4).

Ces versets sont présentés comme une intervention directe de Dieu. C’est Dieu qui parle de son serviteur. Dieu définit d’abord l’identité de ce serviteur : il est « mon serviteur ». Et le

 

possessif « mon » souligne la relation intime qui lie Dieu et le serviteur : « je soutiens » cet homme, je l’ai « choisi », je l’ai « en faveur ». A cet homme Dieu a donné son « souffle », son esprit, sa force. Et ce don lui permettra d’apporter aux nations « le droit », la justice, la justice selon le projet et la volonté de Dieu.
La suite du texte insiste sur la méthode que le serviteur utilisera pour apporter le droit à toutes les nations. En utilisant cinq négations, le texte évoque la non-violence, la délicatesse, une méthode qui exclut toute forme d’agressivité.
Devant cette page, on s’est toujours demandé : ce serviteur du Seigneur c’est qui ? Parfois, s’appuyant sur d’autres passages dans lesquels on fait mention de Cyrus comme le « berger » du Seigneur (Is 44,28) et comme son « oint » (Is 45,1), on a pensé à ce souverain de Babylone. Parfois, comme dans la traduction grecque de notre texte, on a vu dans ce serviteur le peuple d’Israël. Mais la tradition juive a pensé surtout au messie attendu.
Dans cette même ligne se situe l’Évangile de Matthieu au chapitre 12. Dans ce chapitre, Matthieu nous présente Jésus qui prend position en faveur de ses disciples qui, au jour de sabbat, ont arraché des épis et en ont mangé des grains. Et il souligne que Dieu veut la miséricorde non les sacrifices (vv. 1-8). Ensuite, et c’est toujours sabbat, dans une synagogue Jésus guérit un homme qui avait la main paralysée et aussi tous les autres malades qu’il rencontre en sortant de la synagogue (vv. 9-15). Ensuite
16 Jésus leur recommanda sévèrement de ne pas le faire connaître.
17 Et ça afin que s’accomplisse ce qu’a dit le prophète Isaïe :
18 « Voici mon serviteur que j’ai choisi, celui que j’aime et que j’ai moi-même en faveur.
Je mettrai mon Esprit sur lui, et il annoncera le droit aux nations.
19 Il ne se disputera avec personne et il ne criera pas
et personne n’entendra sa voix dans les grandes rues.
20 Un roseau courbé, il ne le cassera pas
et une flamme qui devient faible, il ne l’éteindra pas.
Il agira de cette façon jusqu’à ce qu’il donne la victoire au droit.
21 En son nom les nations mettront leur espoir » (Matthieu 12,16-21).

La puissance de Jésus et ses soins pour les malades sont telles que même le précepte du sabbat ne peut les freiner. Mais Jésus ordonne de ne pas en parler, il demande de la discrétion. Le bien qu’on fait, il ne faut pas l’étaler devant les autres, il est seulement sous le

regard du Père (Mt 6,4).
Ce silence demandé par Jésus à propos de ses actions permet, à Matthieu, de le comparer au silence du « serviteur du Seigneur ». D’autre part, aussi la douceur, la mansuétude de Jésus et son engagement pour le droit des pauvres sont dans la ligne des mêmes attitudes évoquées dans la page du prophète. Et l’espoir évoqué par le prophète se concrétise maintenant dans la personne de Jésus qui suscite l’espérance aussi chez les peuples païens.

Le thème de Jésus comme « serviteur de Dieu » nous le retrouvons aussi dans le Coran, dans la sourate 19 titrée « Marie », en arabe « Maryam ». Ici c’est Jésus qui, pour la première fois après sa naissance, parle :

30 (Jésus) dit : « Je suis un serviteur de Dieu. Il m’a donné l’Écriture et a fait de moi un prophète.
31 Il a fait de moi un être béni où que je sois. Il m’a ordonné la prière et l’aumône, ma vie durant,
32 et la bonté vers ma mère. Il n’a pas fait de moi un être violent ni méchant.
33 Que la paix soit sur moi le jour où je suis né, le jour où je mourrai et le jour où je serai ressuscité!»
34 Voilà Jésus, fils de Marie, parole de vérité qui fait encore l’objet de tant de doutes.

Ici Jésus se présente comme « serviteur de Dieu » car il sait avec certitude qu’il ne fait que la volonté de son Seigneur. A son serviteur, Dieu a donné l’Écriture et l’a fait prophète. Le texte coranique souligne aussi, en peu de mots, le comportement de Jésus, la prière, l’engagement pour les pauvres, la délicatesse envers sa maman et sa non-violence. Quant à l’existence de Jésus, le texte évoque la naissance, la mort, la résurrection, toute une existence sous le signe de la paix. Et, dans le dernier verset : un contraste. Si le Coran qualifie Jésus comme « parole de vérité », néanmoins les gens, au lieu de lui faire confiance,… sont portés au doute. Et nous, quelle est notre attitude envers celui qui est « parole de vérité » et « serviteur de Dieu » ?


Avec ces remarques, La Bible. Notes intégrales. Traduction œcuménique TOB, Cerf – Bibli’O, Paris – Villiers-le-Bel, 2011, p. 630, présente le livre d’Isaïe.

Cf. H.-W. Jüngling, Il libro di Isaia, dans E. Zenger (ed.), Introduzione all’Antico Testamento, Queriniana, Brescia, 2008, pp. 661 et 677.

Au v. 1, la tradition juive a voulu préciser le mot « droit ». Voilà pourquoi certains textes ont « son droit », c’est-à-dire le droit apporté par le serviteur, d’autres textes ont « mon droit », donc le droit qui a sa source en Dieu.

Cf. G. Fohrer, Jesaja 40-66. Deuterojesaja / Tritojesaja, TVZ, Zürich, 1986, p. 49.

Cf. A. Mello, Isaia. Introduzione, traduzione e commento, San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2012, p. 289.

Cf. R. Manes, Vangelo secondo Matteo. Traduzione e commento, dans I Vangeli, a cura di R. Virgili, Ancora, Milano, 2015, p. 211-213.

Pour cette expression, cf. la voix « ‘Isa », c’est-à-dire « Jésus », dans Encyclopédie de l’islam, vol., IV, E.J. Brill, Leiden – New York et Maisonneuve et Larose, Paris, 1978, p. 85s, et surtout p. 86s à propos de « Jésus, serviteur de Dieu ».

Ainsi M. Gloton, Jésus fils de Marie dans le Coran et selon l’enseignement d’Ibn ‘Arabî, Albouraq, Beyrouth, 2006, p. 311.

 

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