Carême 2019 : quatrième semaine

« Notre pain, le (pain) essentiel, donne-le-nous chaque jour »
(Luc 11,3)

Carême 2019 : quatrième semaine

Voici, dans la version de Luc, la deuxième partie du Notre Père :

3 Notre pain, le (pain) essentiel, donne-le-nous chaque jour ;
4 et remets-nous nos errements,
car nous aussi nous remettons à quiconque est notre débiteur ;
et fais que nous n’entrions pas en tentation (Luc 11,3-4).

Dans l’Evangile selon Luc, ces trois requêtes nous font comprendre que la prière adressée au Père, est la prière d’une communauté : l’emploi du pronom personnel « nous » et des mots « notre » et « nos » le soulignent . Et de cette prière communautaire, pendant cette semaine je veux me pencher avec toi sur la demande : « Notre pain, le (pain) essentiel, donne-le-nous chaque jour ».
Dans cette phrase, il y a le mot grec « epiousion » dont la signification est incertaine. En effet, ce mot a été utilisé très rarement avant la rédaction des Évangiles. Pour ce qui en est de la dérivation, on peut penser au mot composé : « ep-iousion » ; dans ce cas la deuxième partie du terme dérive d’un verbe qui signifie « venir ». L’adjectif pourrait donc signifier le pain « pour le jour à venir », le pain « pour le lendemain ». Mais le même adjectif peut être décomposé différemment : « epi-ousion », et la deuxième partie de l’adjectif renvoie à un terme qui signifie « substance », « essence ». Dans ce cas l’adjectif « epi-ousion » peut évoquer un pain « essentiel », indispensable pour notre vie ou conforme à la nature de Dieu, un pain surnaturel .
La prière à Dieu pour le pain et, plus en général, pour la nourriture a des antécédents dans l’Ancien Testament. Fréquemment, en Israël, on lisait le chapitre 16 de l’Exode : ici Dieu nourrit son peuple et, dans le désert, il lui donne une nourriture surprenante, appelé « manne », un mot hébreu qui signifie, précisément, « qu’est-ce que ça ? » (Exode 16,15). Tout ça, dans un récit qui présente la vie quotidienne de la communauté, une communauté qui met

sa confiance en Dieu qui accompagne le peuple avec un don qui est suffisant et proportionné au besoin de chacun .
Toujours à propos de la nourriture, un maître de sagesse – probablement au quatrième siècle avant la naissance de Jésus – priait ainsi :

7 Je t’ai demandé deux choses, (Seigneur), ne me les refuse pas jusqu’à la fin de ma vie.
8 Éloigne de moi illusion et parole de mensonge,
ne me donne ni pauvreté ni richesse,
dispense-moi seulement ma portion de pain.
9 En effet, si je suis comblé, je risque de te trahir
en disant: « Qui est Yahvéh ? »
et si je suis réduit à la misère, je risque de voler
en portant atteinte au nom de mon Dieu (Proverbes 30,7-9).

Dans cette page, nous avons une personne qui demande à Dieu la nourriture, littéralement le « pain », une simple portion de pain en évitant le trop et le trop peu. D’autre part l’homme qui prie ainsi manifeste une grande lucidité : il sait que la richesse le rend suffisant et oublieux du Seigneur ; mais il sait aussi que la misère rend envieux et pousse à commettre des crimes contre le prochain.
Toujours à propos de la nourriture, nous ne pouvons pas oublier les poètes de l’Ancien Testament qui nous invitent à chantent Dieu,

8 Celui qui couvre les cieux avec les nuages,
celui qui prépare pour la terre la pluie,
celui qui fait germer l’herbe aux montagnes,
9 celui qui donne au bétail son pain,
aux fils du corbeau quand ils crient (Psaume 147,8-9 ; cf. aussi 104,21-28 et 145,14-16).

Et dans la ligne de ces poètes, Jésus nous invite : « Regardez vers les oiseaux du ciel : ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas, ils ne rassemblent pas (des récoltes) dans des greniers ; et votre Père qui est dans les cieux les nourrit. Ne valez-vous pas plus qu’eux ? » (Matthieu 6,26 ; cf. aussi Luc 12,6).

Et ce regard sur la générosité de Dieu qui prend soin de toute la création et nourrit tous les

vivants, retentit aussi dans le Coran.

19 La terre nous l’avons étendue, nous y avons érigé des montagnes bien ancrées,
et nous y avons fait pousser toute chose (dans une proportion) bien pesée.
20 Nous y avons mis des vivres pour vous et pour d’autres (créatures)
desquelles vous n’êtes pas les nourriciers.
21 De chaque chose qui existe, nous possédons des réserves importantes
et ce que nous faisons descendre est selon une mesure déterminée.
22 Nous avons envoyé des vents fécondants et, du ciel, nous avons fait descendre de l’eau
avec laquelle nous vous abreuvons sans que vous en ayez les réserves (Sourate 15,19-22).

Jésus nous invite à prier le « Père », il nous invite à lui demander « le (pain) essentiel », « le pain pour le jour à venir », une nourriture simple, limitée, une nourriture à partager dans la communauté, à partager avec les autres filles et fils de ce même « Père », sans exclure personne. C’est le pain nécessaire pour être ses enfants et pour l’appeler « Père ». C’est aussi le pain que Jésus nous donne et que nous partageons en faisant mémoire de lui. Et, en nous réjouissant de ce partage, nous pouvons contempler et chanter la générosité de Dieu qui prend soin de nous, les humains, et aussi de toute sa création.

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