careme-5-2017/

Une page d’une immense tristesse

Carême 2017 : cinquième semaine

Dans la page lue la semaine passée, Dieu – sur la montagne – promet à Moïse de lui donner « les tablettes de pierre, et l’enseignement et le commandement » (Ex 24,12). Voilà comment Moïse devra guider le peuple. Mais la permanence de Moïse sur la montagne se prolonge et le peuple, impatient, réagit:

1 Et voit, le peuple, que Moïse tarde à descendre de la montagne.
Et se réunit, le peuple auprès d’Aaron et lui disent :
« Lève-toi, fabrique-nous des élohim, des dieux qui marcheront devant nous.
Car ce Moïse, cet homme qui nous a fait monter hors du pays d’Egypte,
nous ne savons pas ce qui lui est arrivé ».
2 Et Aaron leur dit : « Enlevez les boucles en or
qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles. Apportez-les-moi ! ».
3 Et ils enlèvent, tout le peuple, les boucles d’or
qui sont à leurs oreilles et ils les apportent à Aaron.
4 Celui-ci les prend de leurs mains et il les façonne comme une statue,
il en fait un jeune taureau en métal fondu.
Alors les Israélites disent :
« Ceux-ci sont tes élohim, Israël, tes dieux qui t’ont fait monter d’Egypte ! »
5 Et voit, Aaron, et il bâtit un autel devant la statue.
Et crie, Aaron, et dit : « Une fête pour Yhwh, demain ».
6 Et se lèvent tôt, le jour suivant, les Israélites
et font monter des sacrifices complets et apportent des sacrifices de paix.
Et s’assied, le peuple, pour manger et pour boire. Puis ils se lèvent pour danser
(Exode 32,1-6).

Cette page suscite une immense tristesse. Elle s’ouvre avec le verbe « voir ». Le livre de l’Exode avait déjà utilisé ce même verbe en racontant l’arrivée d’Israël à la montagne du Sinaï. A ce moment, Moïse avait reçu l’ordre d’annoncer au peuple : « Tu diras ceci à la maison de Jacob : “Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait à l’Egypte, comment je vous

 

ai porté sur des ailes d’aigle et je vous ai fait arriver jusqu’à moi” » (19,3-4). Et, après la révélation des « dix paroles », Dieu avait dit à Moïse : « Tu diras aux fils d’Israël : “Vous avez vu que depuis les cieux j’ai parlé avec vous” » (20,22). Dans ces deux textes, le verbe « voire » évoquait la capacité de regarder à ses propres expériences pour y reconnaître la présence de Dieu (19,3-4) et la disponibilité à voir, dans les « dix paroles », une expression de la parole de Dieu (20.22).
Mais, maintenant, dans Exode 32,1, le peuple exprime, à travers le verbe « voire », sa volonté de posséder et de dominer son propre avenir. Voilà pourquoi, le peuple dit à Aaron : « Lève-toi, fabrique-nous des élohim, des dieux qui marcheront devant nous » (v. 2). Et Aaron, devant cette volonté du peuple, accepte. C’est ainsi que le peuple et Aaron deviennent les protagonistes de notre page : le peuple protagoniste sera nommé quatre fois (vv. 1.1.3.6), Aaron protagoniste cinq fois (vv. 1.2.3.5.5). Quant à Moïse, « cet homme qui nous a fait monter hors du pays d’Egypte » (v. 1), il va disparaître du récit. Dès maintenant cette action de Moïse et de Yhwh cède aux élohim, les dieux qui « ont fait monter d’Egypte » (v. 4) Israël. Et à cette divinité, qui – sur la bouche d’Aaron – reçoit désormais le nom de «Yhwh» (v. 5), les Israélites « font monter des sacrifices complets et apportent des sacrifices de paix » (v. 6).

Et, au centre de ce récit, à la place de Dieu et de sa proximité qui nous échappe, il y a désormais une chose qu’on peut voir et toucher, un symbole de force et de jeunesse, « un jeune taureau en métal fondu » (v. 4), splendide parce que fait d’or ou revêtu en or. Pour cette ‘chose’, les Israélites acceptent de renoncer aux bijoux qui ornent leurs visages. L’ordre d’Aaron est clair : « Enlevez les boucles en or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles. Apportez-les-moi » (v. 2).
Ce récit d’une immense tristesse est mentionné aussi dans trois différentes pages du Coran. Ici je me limite à deux versets de la sourate 7, là où le Coran mentionne, extrêmement liée l’une à l’autre, l’infidélité du peuple et l’appel à la miséricorde de Dieu.

148 Pendant l’absence de Moïse,
les fils d’Israël ont façonné, avec leurs parures, le corps d’un veau mugissant.
N’ont-ils pas vu que ce veau ne leur parle pas et ne les dirige vers aucune voie ?
Pourtant ils l’ont pris pour divinité, et c’est ainsi qu’ils ont été injustes.
149 Puis, lorsqu’ils se sont reconnus coupables et ont pris conscience de leur égarement, ils

ont dit :
« Si notre Seigneur ne nous fait pas miséricorde, s’il ne nous pardonne pas,
nous serons très certainement du nombre des perdants ». (Sourate 7,148-149).

 Le texte du Coran évoque la folie des fils d’Israël : un veau « pris pour divinité ». Et cette folie est soulignée aussi par l’interrogatif : « N’ont-ils pas vu que ce veau ne leur parle pas et ne les dirige vers aucune voie ? ». Et le texte, en évitant de parler de la fête pour cette nouvelle « divinité », passe ensuite à la prise de conscience. Israël prend conscience de son égarement et voit, comme seul chemin vers l’avenir, la miséricorde que Dieu donne.

Quant à moi, pendant cette semaine je m’arrête sur la page triste de l’infidélité à Dieu, un immense danger pour Israël et aussi pour chacun et chacune de nous, cher ami, chère amie. Et j’espère pouvoir, la semaine prochaine, revenir sur la réaction surprenante de Dieu qui, dans sa miséricorde inimaginable, renouvelle son alliance avec le peuple.

 

Renzo

 

> testo (pdf)
> Quaresima 2017