1 janvier 2021, Solennité

Sainte Marie, Mère de Dieu et Journée mondiale de la paix

« Marie, elle vient de la terre, elle donne son fruit : le prince de la paix » (saint Jérôme)

Première lecture

La première lecture est une page du livre des Nombres, un livre qu’on lit rarement dans la liturgie. En hébreu, ce livre porte le titre “Bemidbar”, c’est-à-dire “Au désert”. En effet, il raconte l’histoire d’Israël depuis la sortie de l’Egypte et pendant la traversée du désert, sous la conduite de Moïse.

Le désert est une situation dans laquelle une personne est faible et sans protection, impuissante, confrontée aux épreuves les plus dures, une situation dans laquelle elle risque continuellement sa vie. Et pourtant… ce livre situe au désert la bénédiction de Dieu pour son peuple.

Dans cette bénédiction (vv. 24-26), nous avons trois phrases, de plus en plus longues : en hébreu 3 mots, puis 5, puis 7. Et le dernier mot, « paix » – en hébreu « shalom » – résume tout le contenu de la bénédiction parce qu’il implique paix, joie, bien-être[1]. Quant au peuple, il est interpellé à la deuxième personne du singulier, comme un “tu”, comme une seule personne. Derrière ce détail, l’idée est évidente : pour s’ouvrir à la bénédiction de Dieu, on ne peut pas s’isoler, on doit travailler ensemble, rechercher – à travers nos diversités – l’unité, une communauté unie et solidaire.

Encore une dernière remarque. Après les mots de la bénédiction, le verset 27 dit que les fils d’Aaron placeront le nom de Dieu sur les fils d’Israël. Ils apposent le nom de Dieu comme une signature, comme un cachet qui marque l’appartenance de chaque personne à Dieu et à son peuple. Cette appartenance, ce “oui” dit à Dieu est la condition, pour chacun et chacune de nous, pour accueillir la bénédiction divine. S’il y a ce “oui” de la part des croyant(e)s, « moi, je les bénirai » (v. 27).

Lecture du livre des Nombres (6,22-27)

22 Et parla, Yhwh, à Moïse en disant :

23 « Parle à Aaron et à ses fils et dis-leur :

Ainsi vous bénirez les fils d’Israël, vous leur direz :

24 “Que Yhwh te bénisse et qu’il prenne soin de toi !

25 Que Yhwh fasse briller sur toi son visage et qu’il t’accorde sa grâce !

26 Que Yhwh tourne vers toi son visage et place en toi la paix !”.

27 Ainsi ils placeront mon nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai ».

Psaume

Avec le psaume 67, nous sommes, très probablement, entre les années 522 et 486, au temps de Darius Premier, roi de Perse. Ce souverain favorisait la reconstruction du temple de Jérusalem et permettait, dans tout l’Orient, de vivre une période de paix[2]. C’est dans ce climat de paix qu’un poète compose le psaume 67, un petit bijou – 53 mots en hébreu – pour chanter Dieu qui intervient, comme lumière, pour la terre entière et pour tous les peuples.

De ce psaume, nous allons lire trois strophes. Dans la première (vv. 2-3) et dans la dernière strophe (vv. 6.8), le poète invoque la bénédiction de Dieu (vv. 2.8). Dans sa requête, le poète revient sur le livre des Nombres, en particulier sur trois invocations que nous avons écoutées dans la première lecture : « Que Dieu nous accorde sa grâce et nous bénisse, qu’il fasse briller son visage sur nous » (v. 2. cf. No 6,25b. 24a.25a). En effet, un visage lumineux, un visage souriant, c’est le visage d’une personne heureuse de te voir, de t’accueillir, de t’aider[3]. Voilà Dieu, le Dieu que le poète nous invite à chanter.

Toujours dans la première et dans la dernière strophe, il faut remarquer une perspective universelle : que Dieu soit « connu » (v. 3) aussi par toutes les nations, que les peuples « te rendent grâce, tous ensemble » (v. 6), que tous les peuples puissent mettre leur « confiance » (v. 8) en lui.

Quant à la strophe centrale (v. 5), elle donne aux peuples une motivation pour louer Dieu : « tu juges les peuples avec droiture, et les peuplades sur la terre, tu les conduis ». Le verbe ‘conduire’ suggère fréquemment l’idée de Dieu comme le berger qui prend soin de ses brebis. Quant au verbe ‘juger’, il n’évoque pas la crainte. Au contraire l’action de Dieu qui juge avec droiture pousse les peuples à se réjouir et à crier de joie. Et le pluriel « les peuples », « les peuplades » fait tomber toutes les barrières et souligne que l’action de Dieu n’a pas de limites ethniques et religieuses.

Bref. Le psaume est une invitation à nous ouvrir, à devenir une communauté toujours plus ouverte. Dieu n’est pas seulement notre Dieu. Nous pouvons l’appeler « notre Dieu » (v. 7) seulement si nous sommes capables de reconnaître que Dieu aime aussi les autres, tous et toutes, tout près de nous et jusqu’à « toutes les extrémités de la terre » (v. 8).

En nous laissant conduire par la bénédiction de Dieu qui nous ouvre vers les autres, nous pouvons faire du début du psaume notre refrain :

Que Dieu nous accorde sa grâce

et qu’il nous bénisse.

Psaume 67 (versets 2-3. 5. 6.8)

2 Que Dieu nous accorde sa grâce et nous bénisse,

qu’il fasse briller son visage sur nous,

3 pour que soit connu sur la terre ton chemin,

et dans toutes les nations ton salut.

Refr. :  Que Dieu nous accorde sa grâce

et qu’il nous bénisse.

 

5 Qu’elles se réjouissent

et qu’elles crient de joie les peuplades,

car tu juges les peuples avec droiture,

et les peuplades sur la terre, tu les conduis.

Refr. :  Que Dieu nous accorde sa grâce

et qu’il nous bénisse.

 

6 Que les peuples te rendent grâce, Dieu,

que les peuples te rendent grâce, tous ensemble.

8 Oui, que Dieu nous bénisse,

et que toutes les extrémités de la terre mettent en lui leur confiance.

Refr. :  Que Dieu nous accorde sa grâce

et qu’il nous bénisse.

Deuxième lecture

La Galatie était une province romaine située sur le haut plateau de l’Anatolie, l’actuelle Turquie. Aux païens de cette région, Paul a annoncé l’évangile. La réaction a été intense : la vie des Galates a changé radicalement[4] : ils ont accueilli Paul et le message qu’il leur apportait. Mais plus tard, les Galates se sont laissé secouer par « certaines personnes » (1,7)[5] très liées à la tradition juive. C’est ainsi que les Galates risquent de tourner les épaules au Christ en pensant que le salut n’est pas un don du Christ mais le résultat d’une obéissance méticuleuse à la loi juive.

Devant cette situation – nous sommes vers l’année 57[6] – Paul dicte sa lettre aux communautés de la Galatie et, ensuite, il la signe personnellement. A ces chrétiens qui veulent abandonner Jésus pour suivre la tradition juive, Paul rappelle d’abord l’événement fondamental de l’histoire humaine : « Lorsque le temps décidé par Dieu fut accompli, Dieu a envoyé son Fils » (v. 4). Et Paul souligne l’humanité de Jésus : « Il est né d’une femme » (v. 4). Et ici c’est le seul point – dans toutes ses lettres – où Paul évoque, sans la nommer, Marie, la maman de Jésus. Et, après avoir mentionné la naissance humaine de Jésus, l’apôtre insiste : Jésus « a vécu soumis à la loi juive » (v. 4).

Mais cette insistance sur l’humanité de Jésus et sa soumission à la loi permet à Paul de souligner le but : Jésus, soumis à la loi, « est venu pour rendre la liberté à ceux qui vivent sous la loi » (v. 5). Et cette liberté rend les humains – qui étaient esclaves, enfants, fils et filles – comme le « Fils ». La conséquence est là : au lieu de s’engager pour vivre comme esclaves de la loi, l’Esprit, qui a animé Jésus, nous permet de vivre notre relation à Dieu un peu comme Jésus : Jésus qui s’adressait au Père en lui disant « Abba », littéralement « papa »[7].

 

De la lettre de saint Paul apôtre aux Galates (4,4-7)

Frères, 4 lorsque le temps décidé par Dieu fut accompli, Dieu a envoyé son Fils. Il est né d’une femme et il a vécu soumis à la loi juive. 5 Il est venu pour rendre la liberté à ceux qui vivent sous la loi, et pour faire de nous des fils de Dieu. 6 Oui, vous êtes vraiment ses fils. La preuve, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, l’Esprit qui nous fait dire : « Abba ! Papa ! » 7 Donc, tu n’es plus un esclave, mais un fils de Dieu. Et comme tu es son fils, Dieu te donnera l’héritage qu’il réserve pour ses fils. Voilà l’œuvre de Dieu.

Evangile

Au temps de Jésus et encore plus tard, le monde juif n’appréciait pas les bergers. Il y avait des métiers qu’un papa ne voulait absolument pas pour ses enfants : parmi ces professions, il y avait le matelot, le berger, le boucher, le barbier, le tisserand, le collecteur d’impôts et l’usurier. Et un théologien du premier siècle met – parmi les bons bergers – seulement Jacob, Moïse… et Dieu. Les autres bergers sont tous méchants : ils sont des hommes déréglés, livrés à leurs passions. Ils sont des ennemis publics, qui font paître leurs troupeaux dans le champ d’autrui[8].

Et pourtant… l’Evangile de ce matin nous présente la naissance de Jésus précisément pour les bergers. Luc nous raconte que ces personnes passaient la nuit en s’occupant de leurs troupeaux. Mais cette nuit est lacérée par la lumière. C’est la « gloire » même du Seigneur qui les enveloppe de lumière (v. 9), lorsque l’ange leur annonce la bonne nouvelle. Le message est très précis : un Sauveur « a été engendré pour vous » (v. 11).

Dans la même annonce, il y a aussi un autre détail : « Et voici le signe pour vous : vous trouverez un nouveau-né couché dans une mangeoire » (v. 12). Au fond : le signe, pour les bergers, est un homme qui partage avec eux la même condition : l’étable, la mangeoire.

Et, dans la narration de Luc, les bergers, les marginalisés, deviennent – à leur tour – porteurs de l’évangile. Ce sont eux qui font connaître – à Marie, à Joseph et aux autres – « la nouvelle qui leur avait été dite à propos de cet enfant » (v. 17).

Et, à la fin du récit, les bergers « repartirent, chantant la gloire et les louanges de Dieu » (v. 20).

Bref : l’Evangile de ce matin nous présente Jésus comme celui qui est solidaire des bergers et des marginalisé(e)s, des personnes écrasées, des pauvres. Voilà l’Église, une Église des pauvres et des derniers, comme Celui qui avait été annoncé aux pauvres[9].

Enfin, la dernière phrase du récit mentionne la circoncision de Jésus. C’est un peu comme Paul l’avait souligné dans sa lettre : Jésus né sous la loi. Et Luc, dans la suite de l’Evangile, nous montrera comment Jésus va dépasser la loi pour nous apprendre que Dieu est Père.

C’est ainsi que Jésus, solidaire avec nous dans nos faiblesses et nos expériences de marginalisation, ne peut que nous encourager[10] et nous aider à vivre une relation différente par rapport à Dieu et à devenir des hommes et des femmes de paix.

De l’Evangile de Luc (2,16-21)

16 Les bergers allèrent en hâte (à Bethléem) et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire. 17 Après avoir vu, ils firent connaître la nouvelle qui leur avait été dite à propos de cet enfant. 18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers. 19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. 20 Et les bergers repartirent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.

21 Et, quand huit jours furent accomplis, vint le moment de circoncire l’enfant ; et on lui donna le nom de Jésus, comme l’ange l’avait indiqué à Marie avant qu’elle soit enceinte dans son ventre.

Prière d’ouverture

Au-delà des tourments de ce monde,

au-delà de ma propre angoisse tapie au fond du cœur,

je veux me tourner vers toi, le Seigneur de la paix.

Tu nous as dit : « Va te réconcilier avec ton frère

avant de présenter ton offrande à l’autel ».

Mais alors, quand deux frères sont en paix,

la guerre recule à l’horizon.

Chrétiens, nous te demandons

de nous rendre responsables

de la paix dans le monde.

A commencer par notre propre paix intérieure,

au sein de notre famille, sur notre lieu de travail,

dans nos Églises[11].

[Michel Evdokimov, prêtre orthodoxe russe]

 

Prière des fidèles

* Le livre des Nombres nous annonce la bénédiction de Dieu. Mais, pour accueillir cette bénédiction, nous – qui sommes son peuple – nous devons nous engager ensemble, comme une seule personne. C’est pour cette communauté ainsi unie qu’on pourra prier : « Que Yhwh tourne vers toi son visage et place en toi la paix ! ».

* Le psaume nous invite à te suivre, Seigneur, à nous laisser conduire par toi. Car « les peuplades sur la terre, tu les conduis », tu les conduis « avec droiture », tu les conduis vers la paix. Intensifie donc, dans le cœur de chacune et de chacun de nous, la confiance en toi. Et la peur qui nous habite et nous paralyse perdra sa force.

* La lettre aux Galates souligne fortement la nécessité de laisser tomber, définitivement, l’image d’un dieu qui commande sur des esclaves. Dieu – le Dieu qui nous a envoyé son Fils, Dieu dont Paul nous a parlé – est celui qui nous aime, celui dans lequel nous pouvons mettre toute notre confiance comme un enfant dans son papa. C’est cette confiance qui a permis à Marie de nous donner son Fils.

* L’Évangile nous parle des bergers, des hommes aux marges de leur société. Dieu a pris soin d’eux. Et, dans un enfant solidaire avec les bergers, un enfant dans une étable, dans une mangeoire, ils ont découvert un message qui leur a permis de se mettre en marche. Que cette découverte de Jésus comme solidaire avec nous dans notre marginalisation, puisse nous mettre en marche en chantant, à travers notre vie et nos engagements, « les louanges de Dieu ».

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[1] Cf. P. Buis, Le livre des Nombres, dans Cahiers Evangile 78, Paris, 1981, p. 32.

[2] Cf. E. Zenger, Psalm 67, dans F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Psalmen 51-100, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2000, p. 240.

[3] B. Maggioni, Davanti a Dio. I salmi 1-75, Vita e pensiero, Milano, 2001, p. 204.

[4] Cf. G. Barbaglio, Le lettere di Paolo. Traduzione e commento, vol. 2, Borla, Roma, 1980, p. 13.

[5] Sur ces « certaines personnes », on peut lire F. Mussner, Der Galaterbrief, Herder, Freiburg. Basel. Wien, 1981, pp. 11-13.

[6] Cf. G. Barbaglio, Le lettere di Paolo. Traduzione e commento, vol. 2, Borla, Roma, 1980, p. 28.

[7] Cf. G. Barbaglio, Le lettere di Paolo. Traduzione e commento, vol. 2, Borla, Roma, 1980, p. 123.

[8] Cf. J. Jeremias, « poimên ktl. » dans Grande lessico del Nuovo Testamento, fondato da G. Kittel, continuato da G. Friedrich, Vol. X, Paideia, Brescia, 1975, col. 1201s. Cf. aussi H. Cousin – J.-P. Lémonon – J. Massonnet, Le monde où vivait Jésus, Cerf, Paris, 2004, p. 242-244.

[9] Ainsi S. Fausti, Una comunità legge il Vangelo di Luca, EDB, Bologna, 2017, p. 63.

[10] Cf. B. Trémel, Le signe du nouveau-né dans la mangeoire. A propos de Lc 2,1-20, dans Mélanges Dominique Barthélemy : études bibliques offertes à l’occasion de son 60ème anniversaire, édités par P. Casetti, O. Keel et A. Schenker, Éditions Universitaires – Vandenhoeck & Ruprecht, Fribourg – Göttingen, 1981, pp. 593-612.

[11] Le grand livre des prières. Textes choisis et présentés par C. Florence et la rédaction de Prier, avec la collaboration de M. Siemek, Prier – Desclée de Brouwer, Paris 2010, p. 440.