Eucharistie, 3 janvier 2021

Épiphanie: à la découverte d’un roi surprenant

Première lecture

 Avec la première lecture, nous sommes à Jérusalem vers les années 537-520[1]. La ville sort à peine de son humiliation. Elle avait été abandonnée par les exilés conduits à Babylone : exploitée, appauvrie, défigurée par ses murailles en ruine et son temple détruit. Maintenant l’exil vient de terminer et certains de ses habitants osent revenir. C’est comme au Burundi : lorsque les déplacé(e)s rentrent, l’espoir semble renaître.

Dans ces conditions, un poète sans nom ose prendre la parole et compose un texte qu’on a ensuite accueilli dans le livre du prophète Isaïe.

Le poète interpelle une femme. Il l’interpelle avec deux impératifs : « Mets-toi debout et brille avec éclat » (v. 1). Et la suite du texte nous permet de comprendre que cette femme est Jérusalem, une femme en deuil, une femme qui a vu ses enfants partir en exil. Mais maintenant, cette femme, au lieu de s’enfermer et de se replier dans la résignation, doit se mettre debout et briller avec éclat.

Les deux impératifs « Mets-toi debout et brille avec éclat » (v. 1) font référence à la ‘résurrection’[2] de Jérusalem après le sommeil et l’abandon de l’exil. A travers ces mots, le poète suggère l’idée d’un nouveau jour : en effet, la ville s’habille de lumière lorsque le soleil se lève. Mais le poète, au lieu de mentionner le soleil, mentionne – très directement – « la glorieuse présence de Yhwh » qui « se lève sur toi », Jérusalem[3] !

C’est ainsi que cette femme peut, à son tour, être lumière pour ceux et celles qui rentrent. Il s’agit de ses enfants qui rentrent de l’exil. Mais la ville voit venir, avec ses enfants, aussi des étrangers. Des personnes venant de loin – des terres qu’on ne connaît pas – apportent aussi des dons, « de l’or et de l’encens » (v. 6) pour le temple qu’on projette de reconstruire. Ensuite ces étrangers, après avoir constaté la présence de Dieu à Jérusalem, pourront rentrer chez eux en chantant « les louanges de Yhwh » (v. 6). Et ces louanges, « ils les porteront au monde comme évangile[4] » (v. 6).

 

Lecture du livre du prophète Isaïe (60,1-6)

1 Mets-toi debout et brille avec éclat,

car elle vient, ta Lumière :

la glorieuse présence de Yhwh se lève sur toi !

2 Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre,

et l’obscurité les peuples.

Mais sur toi, Yhwh se lève

et sa glorieuse présence apparaît sur toi.

3 Et les nations viendront vers ta lumière,

et les rois vers la clarté qui s’est levée sur toi.

4 Soulève les yeux et regarde autour de toi !

Tous se rassemblent et viennent vers toi :

tes fils viennent de loin,

et tes filles sont portées, avec délicatesse, dans les bras.

5 Alors tu verras et tu seras radieuse,

tu en seras tout émue et ton cœur éclatera de joie.

En effet, les richesses de la mer arriveront chez toi,

les trésors des nations viendront jusqu’à toi.

6 Des troupeaux de chameaux couvriront ton pays,

de jeunes chameaux de Madian et d’Éfa.

Tous les gens de Saba viendront,

ils apporteront de l’or et de l’encens,

et les louanges de Yhwh ils les porteront au monde comme évangile.

Psaume

Une première rédaction du psaume 72 remonte au septième siècle, une époque où, à Jérusalem, il y avait des rois que les prophètes critiquaient pour leur mauvais comportement. Mais, une nouvelle rédaction de ce même psaume a eu lieu après l’exil à Babylone et, plus précisément, vers le quatrième siècle[5]. A ce moment, Jérusalem n’a plus de roi et le peuple n’a plus d’indépendance. On se souvient de Natan, le prophète qui avait annoncé à David un successeur (2 Sam 7), son fils “Salomon”, c’est-à-dire “Homme de paix”. Mais la paix réalisée par Salomon et aussi par ses successeurs avait ses limites : l’exploitation des pauvres et les privilèges des personnes à la cour. Et les conséquences de cette politique malheureuse pèsent lourdement sur le peuple.

Voilà pourquoi le psaume 72 demande à Dieu un souverain bien différent de Salomon et de tous les rois que l’histoire humaine a connus : un souverain qui s’engage pour la justice, en particulier pour les pauvres, un souverain qui réalise la paix entre les peuples.

La forme que le poète donne à ce rêve est celle d’une prière de David pour un Salomon vraiment homme de paix. Et c’est, en même temps, le portrait d’un roi à venir, le messie de Dieu.

De ce psaume, ce matin nous lirons quatre strophes.

* La première (vv. 1-2) est une invocation adressée à Dieu pour qu’il donne au roi, à un « fils de roi », le don de la « justice ». Grâce à ce don, le roi « jugera ton peuple avec justice et tes pauvres selon le droit ». Et déjà à travers ces mots, on comprend que le roi en question est seulement un ‘instrument’ du vrai roi, le Seigneur lui-même[6], le Seigneur qui prend soin de son peuple et de ses pauvres, les pauvres qui lui appartiennent.

* La deuxième strophe (vv. 7-8) dessine la dimension universelle de cette royauté : la terre entière doit être un espace où tous, de génération en génération, « tant que la lune brillera », puissent vivre la justice et l’abondance de la paix.

* La troisième strophe (vv. 10-11) souhaite la rencontre entre Israël et les peuples. Ici, le poète mentionne d’abord « Tarsis ». Ce mot évoque, dans la Bible, le point le plus à l’ouest de l’occident, la « Tartessos » dans le détroit de Gibraltar en Espagne, ou la ville de Pula, tout près de Cagliari (en Sardaigne), là où arrivaient de grands navires appelés « navires de Tarsis ». Le psaume mentionne aussi les villes de Saba et de Séba, deux localités dans la partie méridionale de l’Arabie[7].   Eh bien : que les peuples, même les habitants de ces terres très éloignées, puissent reconnaître ce roi de justice, lui apporter une offrande, se mettre à son service.

* La quatrième strophe (vv. 12-13) donne la motivation : les rois se mettent à son service, « car il délivrera l’indigent » et il sauvera la vie de celles et ceux qui sont menacés par la violence.

Quant à nous, en pensant à ce roi que le Seigneur nous a donné à Noël, nous voulons revenir sur le vœu exprimé dans le verset 11. Voici donc quel sera notre refrain à la fin de chaque strophe :

Toutes les nations, Seigneur,

se prosterneront devant toi.

 

Psaume 72 (versets 1-2. 7-8. 10-11. 12-13)

1 Ô Dieu, confie tes jugements au roi,

ta justice à ce fils de roi.

2 Il jugera ton peuple avec justice

et tes pauvres selon le droit.

Refr. :             Toutes les nations, Seigneur,

se prosterneront devant toi.

 

7 Pendant son règne, le juste fleurira,

et abondante sera la paix, tant que la lune brillera.

8 Qu’il gouverne d’une mer à l’autre,

et du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre !

Refr. :             Toutes les nations, Seigneur,

se prosterneront devant toi.

 

10 Les rois de Tarsis et des îles lointaines lui apporteront des cadeaux,

les rois de Saba et de Séba lui offriront des dons.

11 Tous les rois se prosterneront devant lui,

et tous les peuples le serviront.

Refr. :             Toutes les nations, Seigneur,

se prosterneront devant toi.

 

12 Car il délivrera l’indigent qui crie au secours

et le pauvre qui n’a point d’aide.

13 Il aura pitié du faible et de l’indigent,

et des indigents il sauvera la vie.

Refr. :             Toutes les nations, Seigneur,

se prosterneront devant toi.

 

Deuxième lecture

Nous allons écouter une page de la lettre adressée à la communauté d’Éphèse, une ville de l’actuelle Turquie sud-occidentale.

L’auteur, probablement un disciple de Paul, nous présente un portrait de Paul : une personne totalement au service du Christ – littéralement « le prisonnier du Christ » (3,1) – pour porter le message du Christ à ceux qui ne sont pas juifs, les habitants de la ville d’Éphèse et d’autres villes de l’Orient.

Ce message a déjà été évoqué dans la première partie de la lettre. Mais l’auteur le résume dans la page que nous allons écouter dans un instant. Le point de départ c’est « to mystêrion »[8] c’est-à-dire « le projet caché » de Dieu. Dieu « ne l’avait pas fait connaître aux humains des générations passées » (v. 5) mais, à travers son Esprit, il l’a « fait connaître » (v. 3) à Paul, aux apôtres et aux prophètes (v. 5).

Ce projet est lié au Christ. Et ceux qui sont unis au Christ, même s’ils ne sont pas juifs, « reçoivent en partage les mêmes biens que les Juifs. Ils font partie du même corps, ils participent à la même promesse » (v. 6). C’est désormais l’Église universelle, composée de Juifs et de non-juifs, qui constitue « le mystère », « le projet caché » de Dieu[9]. Et ce projet, comme l’Évangile de ce matin nous montrera, va commencer avec la rencontre des mages avec Marie et Joseph, autour de Jésus.

 

Lecture de la lettre aux Éphésiens (3,2-3a. 5-6)

Frères, 2 vous avez sans doute entendu parler du service que Dieu, dans la gratuité de son amour, m’a chargé d’accomplir pour vous. 3a Par révélation, Dieu m’a fait connaître le projet caché.

5 Ce projet caché, Dieu ne l’avait pas fait connaître aux humains des générations passées. Mais aujourd’hui, il vient de le révéler, par l’Esprit, à ses apôtres saints et à ses prophètes. 6 Voici ce projet : en étant unis au Christ Jésus par la Bonne Nouvelle, ceux qui ne sont pas juifs reçoivent en partage les mêmes biens que les Juifs. Ils font partie du même corps, ils participent à la même promesse.

 

Évangile

Vers les années 80 du premier siècle, Matthieu compose son Évangile pour une communauté mixte, c’est-à-dire une communauté formée de chrétiens d’origine juive et d’autres d’origine païenne. Et à sa communauté, Matthieu veut montrer que Jésus répond aux exigences les plus profondes de chaque personne, et cela indépendamment du contexte culturel et religieux dans lequel une personne se trouve. C’est ainsi que, dans la page de ce matin, Matthieu nous parle des « mages » (v. 1) qui partent de l’Orient pour venir en Palestine voir Jésus et se « prosterner devant lui » (v. 2).

A guider les mages est d’abord l’étoile, l’étoile qui représente les signes des temps, les occasions de l’histoire et aussi, plus banalement, les hasards de la vie. Mais, avec l’étoile, Matthieu souligne aussi l’importance de l’Écriture. Et, dans notre récit, l’Écriture permet aux mages de trouver le Messie véritable, descendant de David, né dans la cité même du grand roi[10].

A sa communauté, Matthieu présente – comme exemple de vrais croyants – les personnes issues du milieu païen. Quant aux Juifs, Matthieu les met en garde : ils peuvent faire comme « les grands prêtres et les scribes du peuple » (v. 4). Ils lisent l’Écriture, ils savent, mais ils ne font même pas un pas pour chercher Jésus et se prosterner devant lui.

Voilà les deux modèles, un très bon, l’autre très négatif. Pour les membres de la communauté de Matthieu, comme pour chacune et chacun de nous aujourd’hui, un choix est nécessaire : agir comme les mages ou comme les grands prêtres et les scribes ?

 

De l’Évangile selon Matthieu (2,1-12)

1 Quand Jésus fut engendré à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici : des mages, des savants venus d’Orient, arrivent à Jérusalem 2 en demandant : « Où est le roi des Juifs qui vient d’être engendré ? En effet, nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui ». 3 En entendant cela, le roi Hérode est troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. 4 Le roi réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple pour les interroger : « Où le Messie doit-il naître ? ». 5 Ils lui disent : « A Bethléem de Judée, comme il a été écrit – écriture définitive – par le prophète : 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certainement pas la moins importante des localités de Juda ; car c’est de toi que viendra un berger qui conduira mon peuple Israël » (Michée 5,1.3 et 2 Samuel 5,2). 7 Alors Hérode appelle en secret les mages et se fait préciser par eux le moment où l’étoile est apparue. 8 Puis en les envoyant à Bethléem, il leur dit : « Partez, et prenez des informations précises sur le petit enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille moi aussi me prosterner devant lui ».

9 Après avoir entendu le roi, ils partent. Et voici : l’étoile, qu’ils avaient vue en Orient, les guide jusqu’au moment où, arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrête. 10 A la vue de l’étoile, ils éprouvent, intensément, une grande joie. 11 Et entrant dans la maison, ils voient le petit enfant, avec Marie, sa mère. Et tombant à genoux, ils se prosternent devant lui et, ouvrant leurs trésors, ils lui offrent des dons : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Et, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils rentrent chez eux par un autre chemin.

 

Prière d’ouverture

Je veux rendre grâces au Dieu caché, à l’inconnaissable,

je veux créer des chants pour son nom.

Je veux le remercier pour toute la hauteur du ciel

et pour toute l’ampleur de la terre.

Je veux raconter sa puissance à celui qui va vers le nord

et à celui qui va vers le sud.

Qu’on parle de lui aux générations,

aux générations qui n’existent pas encore.

Tu es le Dieu caché, l’inconnaissable,

le Seigneur du silence,

toi qui viens à la voix du pauvre.

Je t’invoque dans ma misère et tu viens me libérer.

Tu permets au malheureux de respirer,

tu me libères lorsque je suis prisonnier,

tu es miséricordieux quand on t’invoque,

tu es celui qui vient au secours, tu viens de loin.[11]

[Prière de Nebrè, peintre de l’ancienne Égypte]

 

Prière des fidèles

* Le message du livre d’Isaïe nous encourage. Il nous parle d’une lumière : elle peut nous relever de nos angoisses comme elle invite une femme seule à se relever en voyant ses enfants revenir chez elle. A toi, notre Dieu, un grand merci pour ce message, et une prière : aide-nous à ouvrir nos yeux et à nous laisser guider par ta lumière, par ta parole.

* Le psaume nous parle de ton projet : un roi bien différent des autres, un roi de justice et de paix. Et ce roi ne peut être que ton Fils, un homme engagé pour les pauvres et pour les victimes de l’injustice. Donne-nous la force, Seigneur, de suivre ce roi et de nous engager, un peu comme lui, pour les personnes qui vivent marginalisées ici chez nous.

* La lettre aux Éphésiens évoque, en peu de mots, un message extraordinaire : un projet, le projet de Dieu, qui fait tomber toutes les barrières. En s’ouvrant à l’Évangile, « ceux qui ne sont pas juifs … font partie du même corps, ils participent à la même promesse ». Que toutes les barrières, les barrières religieuses autant que les barrières ethniques et sociales, puissent tomber.

* Dans le récit des mages, Matthieu nous montre que des personnes apparemment très éloignées de la foi peuvent être de vrais croyants, des croyants qui savent se mettre en route et découvrir Jésus. A nous aussi, Seigneur, donne le courage de nous mettre en route, chacune et chacun à sa façon, pour te découvrir, pour te rencontrer.


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[1] Cf. P.-E. Bonnard, Le second Isaïe, son disciple et leurs éditeurs. Isaïe 40-66, Gabalda, Paris, 1972, p. 401s.

[2] Le premier verbe, « qoum » en hébreu, est utilisé en Isaïe 26,19 avec le sens de « ressusciter ». Dans le Nouveau Testament, ce même verbe, à l’impératif, retentit dans la bouche de Jésus lorsqu’il s’adresse à la fille de douze ans, morte. Jésus lui dit : « talita qoum » qui signifie « jeune fille, réveille-toi /mets-toi debout » (Mc 5,41). Cf. S. Amsler, qûm, sorgere, dans E. Jenni – C. Westermann, Dizionario teologico dell’Antico Testamento. Volume II, Marietti, Torino, 1982, col. 572ss et, en particulier, col. 577.

[3] Cf. A. Mello, Isaia. Introduzione, traduzione e commento, San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2012, p. 404.

[4] Pour cette traduction du verbe « bashar » « évangéliser », cf. P.-E. Bonnard, Le second Isaïe, son disciple et leurs éditeurs. Isaïe 40-66, Gabalda, Paris, 1972, p. 397 et 406. Cf. aussi L. Alonso Schökel (director), Diccionario bíblico hebreo-español, Editorial Trotta, Madrid, 1994, p. 139 sous la voix « bashar».

[5] Cf. E. Zenger, Psalm 72, dans F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Psalmen 51-100, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2000, p. 312ss.

[6] Ainsi E. Zenger, I Salmi. Preghiera e poesia, vol. 3. Il tuo volto io cerco, Paideia, Brescia, 2016, p. 135s.

[7] Pour ces localités, cf. G. Ravasi, Il libro dei Salmi. Commento e attualizzazione. Vol. II (Salmi 51-100), EDB, Bologna, 2015, p. 482.

[8] Pour ce mot, cf. C. Reynier, L’épître aux Éphésiens, Cerf, Paris, 2004, p. 105.

[9] A. Dettwiler, Épître aux Éphésiens, dans Le Nouveau Testament commenté, sous la direction de C. Focant et D. Marguerat, Bayard – Labor et fides, Paris – Genève, 2012, p. 857.

[10] Cf. A. Paul, La Bible. Repères pratiques, Nathan, Paris, 2012, p. 130.

[11] A. Zarri, Il pozzo di Giacobbe. Raccolte di preghiere da tutte le fedi, Gribaudi, Torino, 1992, p. 114s.