Ramadân 2021 : deuxième semaine

Le respect de chaque homme et de chaque femme

Toujours à propos des relations entre frères, pendant cette deuxième semaine de Ramadân je veux lire avec toi une page de la sourate 38. Un peu comme le récit qu’on a lu ensemble la semaine passée, cette page du Coran évoque, indirectement, un autre meurtre: le roi David qui tue Urie pour posséder sa femme Bethsabée. Voici une traduction de cette page:

21La nouvelle des contestataires t’est-elle parvenue? Or ils escaladèrent le mur du sanctuaire. 22Lorsqu’ils sont entrés auprès de David, il fut effrayé par eux. Ils (lui) diren : «N’aie pas de crainte! [Nous sommes] deux contestataires! L’un de nous a agi injustement envers l’autre. Juge donc entre nous en toute vérité, ne sois pas partial et guide-nous jusqu’à la voie de l’équité!».

23[L’un d’eux déclara:] «Certes, celui-ci est bien mon frère: il a quatre-vingt-dix-neuf brebis et moi une seule. Il m’a dit alors: ‘’Confie-la moi!’’. Et il m’a convaincu par son discours».

24[David] dit: « Assurément, il a été injuste envers toi en te demandant de prendre ta brebis avec ses brebis. Et certes, la plupart de ceux qui s’associent dans les affaires agissent injustement les uns envers les autres, sauf ceux rares qui ont la foi [en Dieu] et accomplissent les œuvres vertueuses».

David eut alors la conviction que Nous l’avions mis à l’éprouve. Il demanda donc que son Enseigneur recouvre [ses fautes]. Il tomba en s’inclinant et se repentit.25 Nous lui avons alors pardonné la faute qu’il avait commise. Il aura une place rapprochée auprès de Nous et le meilleur retour (Sourate 38,21-25).

Dans ce récit, le conflit est entre deux frères: l’un, qui possède quatre-vingt-dix-neuf brebis veut aussi posséder la seule brebis que son frère a. Dans cette situation, les deux frères en conflit[1] demandent un jugement au roi David. Et David réagit en disant à celui qui possède une seule brebis: «Assurément, il a été injuste envers toi en te demandant de prendre ta brebis avec ses brebis» (v. 24). Après ce jugement à propos des deux frères, David élargit son discours en affirmant: «la plupart de ceux qui s’associent dans les affaires agissent injustement les uns envers les autres». En poursuivant son intervention, David tourne son regard sur les personnes, peu nombreuses, qui sont fidèles à Dieu: elles s’engagent à ne pas léser les autres et «accomplissent les œuvres vertueuses».

Après l’intervention de David, le Coran mentionne la parole de Dieu. Dieu intervient en disant: «David eut alors la conviction que Nous l’avions mis à l’éprouve. Il demanda donc que son Enseigneur recouvre [ses fautes]. Il tomba en s’inclinant et se repentit»[2]. David comprend que l’intervention des deux frères est un acte à travers lequel Dieu le met à l’épreuve pour lui permettre de prendre conscience de sa faute. Grâce à cette intervention, David ne peut que se repentir de la faute qu’il avait commise. Voilà pourquoi David aura, au ciel, «une place rapprochée» auprès de Dieu. Et ça – comme Ismaïl ibn Kathîr écrivait dans son commentaire du Coran – «en récompense de sa repentance et de son équité qu’il avait appliquée dans son royaume»[3].

Comme dans les autres textes du Coran[4], la sourate 38 n’entre pas dans les détails à propos de la faute commise par David. Mais ce récit fait certainement «allusion à l’affaire d’Urie rapportée par la Bible»[5] et, plus précisément, dans le Deuxième livre de Samuel. Dans ce livre, David désir s’unir à Bethsabée, la femme d’Urie. Il s’unit à elle et elle devient enceinte. Alors David, dans une campagne militaire, fait tuer Urie (2 Sam 11). C’est à ce moment que Dieu envoie chez David le prophète Natan.

1bNatan vint vers David et lui dit: «Il y avait deux hommes dans une ville: un riche et un pauvre. 2Le riche avait des moutons et des bœufs en très grande quantité. 3Le pauvre n’avait rien du tout sinon une petite brebis, qu’il avait achetée; il l’avait fait vivre, et elle avait grandi chez lui avec ses fils ; elle mangeait de son pain, buvait dans sa coupe, dormait dans ses bras. Elle était pour lui comme une fille. 4Un voyageur arriva chez l’homme riche ; et le riche évita de prendre de ses moutons et de ses bœufs, pour préparer [un repas] au voyageur arrivé chez lui. Alors il prend la brebis du pauvre et la fait cuire pour l’homme arrivé chez lui.

5La colère de David s’enflamma violemment contre ce riche et il dit à Natan: «Aussi vrai que Yhwh est vivant, l’homme qui a fait cela mérite la mort! 6Parce qu’il a fait cela et parce qu’il a agi sans pitié, Il doit remplacer la brebis volée par quatre autres brebis».

7a Et dit, Natan, à David : «L’homme qui a fait cela, c’est toi!» (2 Sam 12,1b-7a).

A la place des «contestataires», qui arrivent à l’improviste chez David, dans la Bible c’est le prophète Natan. Mais l’événement mentionné par les deux contestataires et par Natan c’est le même. Par rapport au Coran, dans le récit de la Bible le prophète insiste sur la relation intime qui existe entre le pauvre et la petite brebis: le pauvre qui l’avait achetée «l’avait fait vivre, et elle avait grandi chez lui avec ses fils; elle mangeait de son pain, buvait dans sa coupe, dormait dans ses bras. Elle était pour lui comme une fille» (v. 3). Les images utilisées par le prophète sont totalement irréelles. Mais elles nous montrent une personne, pauvre, qui vit un amour intime très intense, unique, plus que tout[6]. Et cette relation intime comme la relation entre Urie avec sa femme Bethsabée… David l’a anéantie en tuant Urie et en épousant Bethsabée! Et Natan le dit clairement à David : «L’homme qui a fait cela, c’est toi!»  (v. 7a).

Devant cette déclaration, David – comme dans le Coran – ne peut que reconnaître sa faute et déclarer: «J’ai péché envers Yhwh» (2 Sam 12,13). Et Dieu, comme dans le Coran, lui donnera son pardon.

C’est le moment de conclure. Avec ce récit du Coran et de la Bible, nous sommes invité(e)s à respecter chaque personne, chaque homme et chaque femme. L’un des «contestataires» n’a pas respecté son frère, et David n’a pas respecté Urie et Bethsabée. Mais nous devons faire différemment. Et, chaque fois que nous ne respectons pas le prochain, nous devons demander pardon et nous engager dans la réconciliation. Nous devons nous adresser à quelqu’un – et à Dieu – en disant: «guide-nous jusqu’à la voie de l’équité!» (Sourate 38,22).

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[1] Le terme arabe traduit par «contestataires» ou «disputeurs» peut signifier «adversaire», « partie adverse dans un litige». Cf. M. Gloton, Une approche du Coran par la grammaire et le lexique. 2500 versets traduits – lexique coranique complet, Albouraq, Beyrouth 2002, p. 360, no. 0419.

[2] Pour la traduction de ce verset, cf. ibidem, p. 721, no. 1529.

[3] Ismaïl ibn Kathîr, L’exégèse du Coran en 4 volumes. Traduction: Harkat Abdou, Vol. 3, Dar Al-Kutub Al-ilmiyah, Beyrouth 2000, p. 1192.

[4] Pour les textes coraniques à propos de David, cf. M. Chebel, Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard, Paris 2009, p. 113s. sous la voix «David».

[5] Ainsi Si Hamza Boubakeur dans Le Coran. Traduction française et commentaire, Maisonneuve & Larose, Paris 1995, p. 1425.

[6] Cf. F. Stolz, Das erste und zweite Buch Samuel, TVZ, Zürich 1981, p. 240