Ramadân 2021: troisième semaine

Adorer Dieu et agir avec bienveillance

 

Pendant les premières deux semaines, nous avons réfléchi sur des textes qui nous parlent d’un lien fraternel mal vécu: Caïn tue Abel, David tue Urie et s’impose sur sa femme Bethsabée. Mais, pendant cette troisième semaine, je veux lire des textes qui nous exhortent à vivre la fraternité d’une façon positive.

Et je pense à la sourate 4 dans laquelle nous sommes exhorté(e)s en ces termes:

Adorez Dieu, ne lui associez rien. [Agissez] avec bienveillance envers les deux géniteurs, les proches, les orphelins, les indigents, le voisin qui a [avec vous] un lien de proximité et le voisin [qui vous est] étranger, le compagnon à vos côtés, le fils de la route, et ceux que votre main droite possède. Dieu n’aime pas le présomptueux, l’orgueilleux (Sourate 4,36).

Ce verset nous parle de deux attitudes qui, apparemment, sont différentes l’une de l’autre: la relation à Dieu et les relations avec les humains. D’abord notre relation à Dieu, une relation unique qui ne nous permet pas d’associer à Dieu d’autres réalités. Le double impératif est très clair : «Adorez Dieu, ne lui associez rien». Mais, ce verset du Coran lie notre relation à Dieu et nos relations aux autres humains: «Adorez Dieu. [Agissez] avec bienveillance envers les deux géniteurs[1], les proches, les orphelins». Dans ces mots, et aussi dans plusieurs autres versets du Coran, Dieu conjoint l’adoration à sa personne et la bienfaisance aux père et mère[2].

Dans la suite du verset, après les parents, le Coran mentionne «les proches» – donc les parents du côté paternel et maternel[3] – «les orphelins, les indigents». Et l’exigence de faire du bien aux orphelins et aux pauvres est un des commandements du Coran. L’exhortation à nourrir les pauvres et à leur faire l’aumône est mentionnée environs quatre-vingt fois[4].

La liste du verset 36 mentionne ensuite «le voisin qui a [avec vous] un lien de proximité et le voisin [qui vous est] étranger». Et cette dernière tournure – nous dit Tabarî – évoque «tout voisin qui n’a aucun lien de parenté avec vous, qu’il soit musulman, chrétien ou juif, qui est donc éloigné de votre famille »[5]. Quant au «compagnon à vos côtés», les commentateurs l’interprètent dans deux directions différentes: pour certains, il s’agit du compagnon de voyage, pour d’autres il s’agit de l’épouse de l’homme en tant qu’elle est sa compagne à ses côtés. Et la liste termine en mentionnant «le fils de la route», donc le voyageur, et «ceux que votre main droite possède», c’est-à-dire les esclaves. La liste est très complète à propos des humains: on peut donc dire que, ensemble à la relation avec Dieu, il y a celle avec tous les humains.

Cette page du Coran me rappelle une page de l’Évangile, une page dans laquelle un scribe, donc un théologien juif, demande à Jésus :

28b«Quel est [le] commandement [le] premier de tous?» 29 Jésus répondit: «Le premier, c’est: Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur; 30et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme et de toute ta pensée et de toute ta force. 31[Le] second [est] celui-ci: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-ci ». 32Et le scribe lui dit : «Très bien, Maître, tu as dit en vérité: Il est unique et il n’y en a pas d’autre que lui, 33et l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer le prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices». 34Et Jésus, voyant qu’il a répondu avec sagesse, lui dit: «Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu». Et personne n’osait plus poser de questions à Jésus (Marc 12,28b-34).

Cette page – comme les textes parallèles dans l’Évangile selon Matthieu (22,34-40) et selon Luc (10,25-28) – nous dit, avec la plus grande clarté, comment nous devons vivre notre relation à Dieu: elle doit être une relation qui nous prend totalement: cœur, âme, pensée et force[6]. Cette attitude, que Jésus résume dans le verbe «aimer», nous devons la vivre aussi dans nos relations avec les humains; et ça sans aucune limite: en effet, chacun d’eux est notre «prochain»[7]. Mais, la narration de Marc, à différence du texte parallèle de Matthieu, évoque aussi la réaction du scribe, c’est-à-dire d’un théologien juif. Lui aussi, avec des mots très proches des mots utilisés par Jésus, insiste sur l’amour que nous devons vivre envers Dieu et envers les humains.

C’est le moment de terminer cette page pour la troisième semaine de ramadân. Que le message du Coran et celui de Jésus et d’un théologien juif puissent nous encourager, pendant cette semaine et dans toute notre existence, à vivre intensément notre relation à Dieu et aux humains qui sont tous nos frères. Et sur ce chemin nous serons ensemble: un engagement commun qui nous encourage réciproquement.

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[1] Sur le respect des parents, qui revient fréquemment dans le Coran, cf. sourate 31,14 ou Dieu dit: «Sois reconnaissant envers Moi et envers tes père et mère». Pour d’autres textes du Coran sur le respect des parents, cf. Le Coran. Texte arabe et traduction française, par ordre chronologique selon l’Azhaar, avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens, par S. A. Aldeeb Abu-Sahlieh, L’Aire, Vevey 2009, p. 569, sous la voix «Parenté».

[2] Cette affirmation on peut la lire dans Ismaïl ibn Kathîr, L’exégèse du Coran en 4 volumes. Traduction: Harkat Abdou, Vol. 1, Sourate 1 (Le Prologue)- Sourate 5 (La Table), Dar Al-Kutub Al-ilmiyah, Beyrouth, 2000, p. 272 qui renvoie aux sourates 31,14 et 17,23. A ces textes on peut ajouter 6,151 et 2,83.

[3] Cf. Abû Ja‘far Muhammad Ibn Jarîr at-Tabarî, Commentaire du Coran. Abrégé, traduit et annoté par P. Godé, Éditions d’art les heures claires, Paris, 1986, tome III, p. 359.

[4] Ainsi H. Abdel-Samad, Il Corano. Messaggio d’amore, messaggio di odio, traduzione di C. Ujka, Garzanti, Milano, 2018, p. 183.

[5] Cf. Abû Ja‘far Muhammad Ibn Jarîr at-Tabarî, Commentaire du Coran, p. 360.

[6] A travers ces paroles, Jésus reprend le texte du Deutéronome 6,5. Pour l’analyse des petites différences entre ces deux textes, cf. B. Standaert, Marco: Vangelo di una notte, vangelo per la vita. Commentario, EDB, Bologna 2012, p. 646.

[7] Avec les mots « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », Jésus cite Lévitique 19,18. Et, dans ce texte du Lévitique, le mot « prochain » évoque aussi l’étranger, celui qui n’appartient pas à ton peuple. Cf. J. Fichtner, plêson, dans Grande lessico del Nuovo Testamento, fondato da G. Kittel, continuato da G. Friedrich, Vol. X, Paideia, Brescia, 1975, col. 722ss. Cf. aussi R. Pesch, Il vangelo di Marco. Parte seconda, Paideia, Brescia 1982, p. 362