Ramadân 2021 : quatrième semaine

« Vous étiez ennemis et vous vous êtes retrouvés frères »
(Sourate 3,103)

 

Nous sommes à la quatrième semaine de Ramadân. Et, pendant cette semaine, je veux réfléchir sur un verset de la troisième sourate du Coran. Cette sourate, à cause du personnage que la sourate mentionne aux versets 33 et 35, porte le titre «La famille de ‘Imran». Et ce personnage, nommé aussi ‘Amran, est le père de Moïse et d’Aaron[1] (cf. Exode 6,20).
D’après les commentateurs, cette sourate a été révélée l’an 9 de l’hégire, donc l’an 631 après Jésus Christ. C’est à ce moment que, du Yémen, arrive à Médine une délégation chrétienne – composée de professeurs, de théologiens et de notables – guidée par leur évêque. L’objet de leur visite était une prise de contact avec Muhammad pour s’informer de sa mission et des rapports de celle-ci avec le christianisme. Et, au cours de leur séjour, les chrétiens purent célébrer, chose remarquable, leur eucharistie dans la mosquée même du Prophète[2].
De cette sourate, voici une traduction du verset 103:
Attachez-vous ensemble à la Corde de Dieu et ne vous séparez pas. Souvenez-vous du bienfait que Dieu vous a accordé lorsque vous étiez ennemis [les uns des autres]: Il a uni vos cœurs et vous vous êtes alors retrouvés frères par Son bienfait. Or, vous étiez sur le bord d’un abîme de feu et Il vous en a sauvés. C’est ainsi que Dieu explicite Ses Signes pour vous dans l’espoir que vous vous laissiez guider (Sourate 3,103)[3].

Le verset s’ouvre en mentionnant « la Corde de Dieu ». Et cette expression est une image pour évoquer « le Coran » ou bien « la foi » qui unit les croyants à Dieu[4]. Quant au second impératif de la même phrase, c’est une invitation pressante : « ne vous séparez pas ». On doit donc éviter toute séparation. Les commentaires évoquent les conflits, mentionnés aux versets 99 et 100 de cette même sourate, entre un groupe de juifs et des musulmans à Médine.
Les phrases suivantes de ce verset vont au-delà de ces événements conflictuels et évoquent le projet global : la réunification de la communauté humaine tout entière, réunion dont un signe on peut le voir dans la rencontre entre les chrétiens venus du Yémen et les musulmans de Médine. Cette rencontre a été un signe. Mais le projet de Dieu concerne les humains de chaque génération. Aussi pour nous aujourd’hui vaut l’affirmation : Dieu « a uni vos cœurs et vous vous êtes alors retrouvés frères par Son bienfait ». Chaque rencontre et chaque réunion qui a eu lieu dans le passé est un signe que Dieu nous donne. Et « c’est ainsi que Dieu explicite Ses Signes pour vous dans l’espoir que vous vous laissiez guider ».

Parmi ces Signes de « fraternisation » que Dieu a accomplis, un témoignage nous l’avons dans la lettre de Paul à Philémon. Philémon était un membre important de la communauté de Colosses[5], une ville du sud-ouest de l’actuelle Turquie. Philémon avait un esclave : Onésime. Et cet esclave – cas absolument pas rare dans l’antiquité[6] – avait pris la fuite. Après s’être enfoui, Onésime, s’est adressé à Paul, qui était en prison probablement à Éphèse[7]. Et, chez Paul, Onésime devient chrétien, et se met à servir Paul en prison. La relation entre l’esclave fugitif et l’apôtre se fait très intense au point que Paul maintenant peut parler d’Onésime en disant: il «est comme mes propres entrailles»[8]. Et cette expérience change la vie d’Onésime: il décide d’abandonner sa condition illégale d’esclave en fuite et de retourner chez son propriétaire Philémon. Et Paul, pour encourager ce retour, écrit pour lui une lettre de recommandation[9], la «Lettre à Philémon», la lettre qu’Onésime présentera à son patron.
Voici une petite section de cette lettre:

9bOui, moi Paul, qui suis un vieillard, moi qui suis maintenant prisonnier de Jésus Christ, 10je te prie pour mon enfant, celui que j’ai engendré dans les chaînes, Onésime. 11Autrefois, il t’a été inutile mais maintenant il est utile, à toi comme à moi. 12Je te le renvoie, lui qui est comme mes propres entrailles. 13Je voulais le retenir tout près de moi, afin qu’il me serve à ta place dans les chaînes où je suis à cause de l’Évangile; 14mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, afin que ce bienfait n’ait pas l’air forcé, mais qu’il vienne de ton bon gré. 15Peut-être, en effet, [Onésime] a été séparé de toi un moment seulement, afin que tu le retrouves pour toujours, 16non plus comme un esclave mais comme bien mieux qu’un esclave: un frère bien-aimé. Il l’est tellement pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien dans sa condition humaine que comme [un sujet qui vit] dans le Seigneur (Philémon 9b-16).

Dans ces versets, Paul souligne la nouvelle identité d’Onésime: maintenant Onésime est «mon enfant, celui que j’ai engendré dans les chaînes» (v. 10); Onésime est aussi «un frère bien-aimé» (v. 16). Et ce changement entre Onésime et Paul doit provoquer aussi un changement, un changement radical, entre Onésime et son maître Philémon: «Peut-être, en effet, [Onésime] a été séparé de toi un moment seulement, afin que tu le retrouves pour toujours, non plus comme un esclave mais comme bien mieux qu’un esclave: un frère bien-aimé» (vv. 15-16). Paul demande donc à Philémon de considérer Onésime comme un frère, non seulement dans la foi, mais aussi en renonçant à le punir, comme le droit romain l’autorisait[10]. Une dernière remarque. L’avenir nouveau qui se prépare pour Philémon et Onésime est devenu possible… parce que Onésime s’est enfui, littéralement parce que Onésime «a été séparé de toi un moment seulement» (v. 15). Et, à travers le choix du verbe passif «a été séparé», Paul évoque, indirectement, l’action de Dieu[11]: Philémon, tu avais un esclave; à travers sa décision de prendre la fuite, Dieu est intervenu pour rendre possible, entre Onésime et toi même, une relation nouvelle, une vraie fraternité!
C’est le moment de terminer. La sourate et la lettre à Philémon nous invitent à ouvrir les yeux sur notre vie, pour découvrir et à intensifier nos relations fraternelles. Dans ces situations qui nous arrivent jour après jour, il y a le plan de Dieu qui veut que nous devenions de vrais frères. Voilà ce que Dieu nous prépare, pour aujourd’hui et pour demain et «pour toujours».

 

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[1] Cf. M. Chebel, Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard, Paris 2009, p. 216, sous la voix «‘Imran».

[2] Ainsi Si Hamza Boubakeur, Le Coran. Traduction française et commentaire, Maisonneuve & Larose, Paris 1995, p. 201.

[3] Cette traduction reprend, avec de petites modifications, celle de M. Gloton, Une approche du Coran par la grammaire et le lexique. 2500 versets traduits – lexique coranique complet, Albouraq, Beyrouth 2002, p. 322, § 0293.

[4] Cf. Si Hamza Boubakeur, Le Coran, p. 251.

[5] Cf. M. Bocian, Personaggi della Bibbia, Edizioni PIEMME, Casale Monferrato (AL) 2006, p. 188s, sous la voix «Filemone».

[6] Cf. R Penna, Lettera ai Filippesi; Lettera a Filemone, Città Nuova, Roma 2002, p. 166. Cf. aussi Sénèque qui, à propos des esclaves qui se sont enfouis, écrivait: «Rien d’insolite, rien d’inattendu» (Épîtres 197,2). Cf. K. Wengst, Lettera a Filemone. Traduzione, introduzione e commento, Paideia, Brescia 2008, p. 37.

[7] Cf. R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament?, Bayard, Paris 2000, p. 553s. Cf. aussi R. Manes, Lettera a Tito. Lettera a Filemone. Introduzione, traduzione e commento, San Paolo, Cinisello Balsamo (MI) 2011, p. 73.

[8] Pour cette affirmation qu’on lira dans le verset 12, cf. R. Penna, Lettera ai Filippesi; Lettera a Filemone, p. 184.

[9] G. Barbaglio, Paolo di Tarso e le origini cristiane, Cittadella, Assisi 1985, p. 202. Ici Barbaglio nous rappelle, en parallèle, une lettre de recommandation écrite par Pline le Jeune (Epist. 9,219) où cet auteur exhorte un ami à accueillir à nouveau et pardonner un esclave qui s’était enfui.

[10] Cf. La Bible. Notes intégrales. Traduction œcuménique TOB, Cerf – Bibli’O, Paris – Villiers-le-Bel 2011, p. 2609, note au v. 16. Pour d’autres détails sur la punition d’un esclave fugitif, cf. K. Wengst, Lettera a Filemone, p. 42s.

[11] Cf. G. Barbaglio, Le lettere di Paolo. Traduzione e commento. Volume 2, Borla, Roma 1980, p. 646, note 13.