Eucharistie, 18 juillet 2021
16ème dimanche du Temps Ordinaire — Année B«
Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer » (Psaume 23,1).
Première lecture
Dans le livre de Jérémie, il y a quatre chapitres (Jér 21-24) avec des interventions du prophète à la veille de la chute de Jérusalem et de la destruction du temple l’an 587. Dans ces pages, Jérémie interpelle les différents membres de la famille royale et d’autres responsables du peuple.
Parmi ces responsables – comme nous allons écouter dans un instant – il y a ceux que Jérémie appelle les « bergers ». Souvent, en Israël, les guides du peuple ont été appelés « bergers ». Et ce terme est devenu fréquent surtout grâce à David, David qui était berger et est devenu roi[1].
Mais, après David, dans l’histoire d’Israël il y a eu, fréquemment, des rois et des chefs qui se sont mal comportés. Et, dans la page de Jérémie qu’on lira dans un instant, Dieu dénonce le comportement de ces chefs : ils « laissent se perdre et laissent dépérir à l’abandon les brebis de mon pâturage » (v. 1). Et la suite du texte insiste : au lieu de faire paître le peuple de Dieu, ils l’ont laissé dépérir à l’abandon, ils l’ont dispersé en exil, ils ne se sont pas occupés de ces brebis.
Devant cette situation, Dieu va intervenir. D’abord contre ces bergers : ils ne se sont pas occupés des brebis, « eh bien, moi, je vais m’occuper – contre vous – de la méchanceté de vos actions » (v. 2).
Après cette rapide prise de position contre les bergers, Dieu va s’occuper, lui-même, de ses brebis en exil. Dieu, qui a permis aux bergers la dispersion des brebis, Dieu qui a ratifié cette dispersion et a – pour ainsi dire – dispersé les brebis, va maintenant les rassembler : « Je vais rassembler moi-même les survivants de mes brebis, depuis tous les pays, là où je les ai dispersées » (v. 3). Et ici, le verbe « rassembler » n’évoque pas seulement le retour après la dispersion de l’exil ; ce verbe évoque aussi la formation d’une communauté qui a ses racines dans un esprit d’unité[2].
Au verset 4, en poursuivant sa promesse, Dieu va établir d’autres bergers qui feront paître les brebis, et c’est ainsi que les brebis seront à nouveau en bonnes mains.
Enfin la promesse de Dieu s’ouvre à de nouveaux jours : « Voici : des jours viennent – déclaration de Yhwh – et je susciterai à David un descendant juste. Et il régnera, en (vrai) roi, et il agira avec discernement, et il pratiquera le droit et la justice dans le pays » (v. 5). Il s’engagera vraiment pour la justice, la justice[3] pour tous. Et si le dernier roi de Jérusalem – qui n’avait pas suffisamment assuré la justice et n’avait pas pu sauver son peuple – s’appelait quand même Sédécias, qui signifie « Yhwh ma justice », le nouveau roi, le messie à venir, s’appellera « Yhwh notre justice » [4]. Écoutons ce message d’espoir.
Du livre du prophète Jérémie (23,1-6)
1 Hélas ! Des bergers laissent se perdre et laissent dépérir à l’abandon les brebis de mon pâturage, déclaration de Yhwh. 2 C’est pourquoi ainsi parle Yhwh, l’Elohim d’Israël, au sujet des bergers qui font paître mon peuple :
« Vous avez laissé dépérir à l’abandon mes brebis, vous les avez dispersées, vous ne vous êtes pas occupés d’elles. Eh bien, moi, je vais m’occuper – contre vous – de la méchanceté de vos actions, déclaration de Yhwh ! 3 Je vais rassembler moi-même les survivants de mes brebis, depuis tous les pays, là où je les ai dispersées. Et je les ferai revenir à leurs pâturages, elles seront fécondes et pourront se multiplier. 4 Et j’établirai pour elles des bergers qui les feront paître ; elles n’auront plus peur, elles ne seront plus terrifiées, plus aucune d’elles ne manquera, déclaration de Yhwh.
5 Voici : des jours viennent – déclaration de Yhwh – et je susciterai à David un descendant juste. Et il régnera, en (vrai) roi, et il agira avec discernement, et il pratiquera le droit et la justice dans le pays. 6 Dans ces jours-là, le royaume de Juda sera sauvé, et le peuple d’Israël vivra en sécurité. Et voici le nom dont on appellera ce roi : “Yhwh notre justice” ».
Psaume
Le psaume 23 est une prière très simple : elle ne demande rien à Dieu, elle n’est pas un remerciement ou une louange[5]. Elle est un moment dans lequel une personne prend conscience de ce qu’elle vit. Sa vie est, surtout, une expérience de Dieu ! Par rapport à Dieu, le poète se sent d’abord comme une brebis aimée, ensuite, dans la seconde partie du psaume, comme un hôte accueilli par Dieu.
Dans les deux premières strophes, le poète célèbre Dieu à la troisième personne : il est mon berger, il me fait reposer, il me conduit, il me guide. L’image est celle d’un berger qui n’a pas de résidence fixe. Il est toujours en marche, avec sa brebis, pour la guider où il y a de l’eau, de l’herbe fraîche, un endroit pour lui permettre le repos. Mais, si en Palestine d’habitude le berger s’occupe de plusieurs brebis, le poète se sent comme la seule brebis, et le berger s’occupe toujours d’elle, en lui révélant ainsi son amour, « son intimité » (v. 3)[6].
Dans la troisième strophe, la dernière de cette première partie, le poète ne parle plus de Dieu à la troisième personne : il utilise la deuxième personne, il lui dit “tu” : « tu es avec moi » (v. 4). Et cette présence de Dieu permet au poète de ne pas avoir peur. Il n’a pas peur même s’il va « dans une vallée de profonde obscurité ». C’est le chemin que le peuple a déjà affronté en sortant de l’Égypte comme nous le rappelle le prophète Jérémie (2,6) [7], c’est le chemin qu’on doit affronter dans le sud de la Palestine, des vallées escarpées et très dangereuses. Plus tard, dans la traduction grecque, cette image de la vallée sera profondément transformée : en changeant une petite voyelle de l’hébreu, on traduit : « Même si je vais au cœur de l’ombre de la mort, … tu es avec moi ». Donc, même en traversant la vallée de la mort, je ne crains rien car « tu es avec moi » et ta présence « me rassure ». Voilà l’essentiel.
Comme dans la finale de la première partie, aussi au début de la seconde partie (v. 5), le poète s’adresse à Dieu en lui disant “tu” : « Tu prépares une table pour moi. Tu m’accueilles, tu remplis ma coupe jusqu’au bord ». Ces images correspondent à celles de la première partie : nourriture, boisson, repos. Mais ces actions ne visent plus une brebis. Le poète ne s’identifie plus à une brebis dont le berger prend soin. Le poète se présente désormais comme une personne que Dieu accueille comme hôte, un hôte de respect[8].
Enfin, dans la dernière strophe de cette seconde partie, le poète revient sur Dieu. Il en parle en utilisant la troisième personne : Dieu lui-même, sa bonté et sa fidélité[9] « m’accompagneront tous les jours de ma vie ». Si le verset 5 pouvait faire penser à Dieu qui, une seule fois, accueille l’homme comme son hôte, le dernier verset élimine toute ambiguïté : Dieu accueille les humains « pour de longs jours », une expression biblique qui signifie ‘pour toujours’[10]. Voilà le banquet que Dieu a préparé pour chacune et chacun de nous qui sommes confronté(e)s avec la souffrance, la peur et la violence.
En commentant ce psaume, le pape François nous invite à prier : « Seigneur, apprends-moi à me confier à tes mains, à me confier à ton guide même dans les moments difficiles, dans les moments obscurs, au moment de la mort. Je me confie à toi, tu ne me déçois jamais. Tu es fidèle »[11].
Quant à nous, ce matin, nous pouvons prendre comme refrain les premiers mots du psaume. Je vous invite donc à chanter :
Le Seigneur est mon berger :
rien ne saurait me manquer.
Psaume 23 (versets 1-2ab. 2c-3. 4. 5. 6)
1 Psaume appartenant au recueil de David.
Yhwh est mon berger,
rien ne saurait me manquer.
2ab Dans des prés d’herbe fraîche
il me fait reposer.
Refr. : Le Seigneur est mon berger :
rien ne saurait me manquer.
2c Il me conduit vers des eaux de tranquillité.
3 Il me rend les forces,
il me guide sur des sentiers de justice,
parce qu’il me révèle son intimité.
Refr. : Le Seigneur est mon berger :
rien ne saurait me manquer.
4 Même si je vais dans une vallée de profonde obscurité,
je n’ai peur de rien,
car toi, tu es avec moi :
ton bâton de berger est près de moi, il me rassure.
Refr. : Le Seigneur est mon berger :
rien ne saurait me manquer.
5 Tu prépares une table pour moi
devant mes adversaires.
Tu m’accueilles en versant sur ma tête de l’huile parfumée,
tu remplis ma coupe jusqu’au bord.
Refr. : Le Seigneur est mon berger :
rien ne saurait me manquer.
6 Oui, sa bonté et sa fidélité m’accompagneront
tous les jours de ma vie,
et je reviendrai à la maison de Yhwh
pour de longs jours.
Refr. : Le Seigneur est mon berger :
rien ne saurait me manquer.
Deuxième lecture
Dans le chapitre 2 de la lettre aux Éphésiens, l’auteur rappelle d’abord, d’une façon rapide mais très efficace, le passé païen des destinataires : ils étaient critiqués, voire offensés, par les Juifs, les Juifs qui leur reprochaient le fait de ne pas être circoncis. Surtout, ils étaient « sans espérance et sans Dieu » (v. 12).
Par rapport à ce passé, les destinataires vivent maintenant une situation entièrement différente. Et ce changement est souligné par le contraste : jadis « éloignés », maintenant « proches » (vv. 13 et 17), proches par rapport à Dieu et réconciliés avec lui (v. 16). Et cela grâce au Christ et à sa mort.
Pour comprendre le changement mis en acte par le Christ, la référence au temple de Jérusalem peut être utile. Dans le temple fréquenté aussi par Jésus, il y avait des espaces séparés, des “cours” : la cour des hommes juifs, la cour des femmes juives et la cour des païens. Ces trois cours étaient séparées par des murs en pierre. Et sur le mur de la cour des non-Juifs on a retrouvé une inscription, en grec, avec l’ordre de ne pas passer d’une cour à l’autre et de punir les transgresseurs avec la mort[12]. Eh bien, notre lettre nous dit que le mur en question, la séparation entre Juifs et non-Juifs, était physique mais surtout intérieure : la haine. La lettre aux Éphésiens nous dit : le Christ « dans sa chair (crucifiée) a détruit le mur qui les séparait : la haine » (v. 14). Et le verset suivant entre encore plus dans les détails : la haine entre Juifs et non-Juifs trouvait un appui dans des normes religieuses. Voilà pourquoi le Christ a aussi « réduit à rien la loi et ses commandements avec leurs observances » (v. 15). A ce moment on comprend que le mur de séparation est surtout une métaphore de la loi de Moïse, une loi qui, dans la conscience d’un Juif, jouait un rôle de défense et, donc, de séparation par rapport aux non-Juifs[13].
Ce projet de destruction des séparations est aussi accompagné d’un projet de construction : la paix, une humanité nouvelle et réconciliée. Quant à la paix, ce mot revient quatre fois dans la lecture de ce matin. La première fois, avec une formule étonnante, la lettre paulinienne identifie – littéralement – le Christ et la paix : « Lui, en effet, c’est notre paix, lui qui des deux, le Juif et le non-Juif, en a fait une seule réalité » (v. 14). Vers la fin de la page, l’auteur fait de la paix le beau message annoncé par Jésus, le message pour lequel Jésus est venu dans ce monde (v. 17). Mais, au centre de la page, la paix n’est pas seulement le message du Christ. Le Christ est aussi celui qui a voulu faire la paix, et a voulu la faire en créant – du Juif et du non-Juif – « un seul Humain nouveau » (v. 15). Notre lettre fait ici référence à la Genèse et à Dieu qui crée l’humain (Gen 1,26-27). Mais, par rapport à la Genèse, la lettre présente trois nouveautés. D’abord, cas unique dans tout le Nouveau Testament, le verbe « créer » a pour sujet le Christ[14]. La deuxième nouveauté c’est le résultat de cette œuvre créatrice : un « Humain nouveau ». Enfin, cet « Humain nouveau » est créé « en lui », dans le Christ. Donc : il n’y a plus de séparation entre Juif et non-Juif, les deux sont ensemble et ils sont ensemble dans le Christ et, dans le Christ, ils sont « un seul Humain nouveau ». Voilà le projet que la lettre annonce aux Éphésiens, des non-juifs qui sont devenus chrétiens, un projet que le Christ est en train de réaliser[15].
Enfin, toujours dans la même phrase, la lettre montre le chemin que le Christ a voulu pour mener à terme son projet : il a voulu « réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps, au moyen de la croix » (v. 16). Voilà ce que le Christ a voulu ; et nous, nous aussi, nous sommes pris dans ce projet.
En vue de ce projet, le Christ, au moment d’être mis à mort sur la croix, « en sa personne, il a tué la haine ». Et le mot « haine » a, dans notre page, une double signification : la haine, l’hostilité qui pousse une personne à s’opposer à une autre, et aussi l’hostilité qui pousse une personne à refuser Dieu. L’inimitié entre les humains laisse désormais la place à la paix entre les humains et envers Dieu. Voilà comment l’affirmation « le Christ c’est notre paix » (v. 14) s’accomplit pleinement[16].
La page de ce matin est un message lancé vers la fin du premier siècle. Mais il n’a pas perdu un brin de son actualité. Cette paix, cette nouvelle création qualifiée comme « un seul Humain nouveau » doit être visible, et surtout vécue, aujourd’hui encore. Nous aussi, comme communauté chrétienne réunie ici au Centre, nous participons à ce « seul Humain nouveau ».
Lecture de la lettre aux Éphésiens (2,13-18)
Frères, 13 maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez les “éloignés”, vous êtes devenus “proches” par le sang du Christ. 14 Lui, en effet, c’est notre paix, lui qui des deux, le Juif et le non-Juif, en a fait une seule réalité, lui qui – dans sa chair (crucifiée) – a détruit le mur qui les séparait : la haine. 15 Il a réduit à rien la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir des deux, du Juif et du non-Juif, créer en lui un seul Humain nouveau, faisant ainsi la paix, 16 et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps, au moyen de la croix : en sa personne, il a tué la haine. 17 Il est venu annoncer le beau message, la paix, à vous qui étiez les “éloignés”, et la paix à ceux qui étaient “proches”. 18 C’est en effet par le Christ que nous avons, tous deux, Juifs et non-Juifs, libre accès, en un seul Esprit, auprès du Père.
Évangile
Dimanche passé, l’Évangile nous parlait de Jésus envoyant les disciples en mission. Et, en racontant brièvement la réalisation de ce projet, Marc écrivait : les disciples « proclamèrent qu’il fallait changer de mentalité et de comportement » (v. 12). Et maintenant, en racontant la rentrée des disciples, Marc affirme : « les apôtres se réunissent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et (tout) ce qu’ils avaient enseigné » (v. 30). Et dans cette phrase, il faut remarquer deux détails : le terme « apôtres » et le verbe « enseigner ».
* Le terme « apôtre », Marc l’avait déjà utilisé en racontant l’action de Jésus qui choisissait les « douze ». En effet, il écrivait : Jésus « appelle ceux qu’il voulait et il en établit douze qu’il appela apôtres[17] afin qu’ils soient avec lui et afin qu’il les envoie proclamer (la Bonne Nouvelle) » (3,13-14). Le terme « apôtres » revient encore, d’une façon très cohérente, dans la page de ce matin qui rappelle l’enseignement donné par les apôtres. Seulement dans ces deux textes Marc utilise le terme « apôtre ». Ailleurs, et très fréquemment[18], Marc utilisera le terme « disciples » pour parler des douze que Jésus avait choisis.
* Toujours dans le verset 30, il faut remarquer le verbe « enseigner ». Et dans l’ Évangile de Marc, ici c’est le seul passage dans lequel l’action d’enseigner est attribuée à quelqu’un d’autre que Jésus[19].
En écoutant ce que les apôtres ont fait et enseigné, la réaction de Jésus est très fine : Jésus veut vivre un moment de solitude avec les apôtres : « à l’écart » (vv. 31 et 32), dans « un lieu désert » (vv. 31 et 32). A côté de ce moment d’intimité de Jésus avec les apôtres, Jésus prend soin aussi du repos ; il leur dit : « Venez… et reposez-vous un peu » (v. 31). Mais Jésus se préoccupe aussi de la nourriture : en effet, Jésus et les siens « n’avaient même pas le temps de manger ».
Le projet de Jésus veut permettre aux disciples un moment de repos et de nourriture, mais… comme ils se déplacent en barque, beaucoup de gens, comprenant le projet de Jésus, se déplacent à pied et « ensemble ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux » (v. 33).
Après avoir évoqué le déplacement de la foule, Marc s’arrête sur la réaction de Jésus : « (Jésus) vit une foule nombreuse. Il fut pris aux entrailles pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger » (v. 34). Dans cette phrase, très important est le choix du verbe « être pris aux entrailles ». Ce verbe, « splagchnizomai » en grec, est presque totalement ignoré dans la littérature classique et dans l’Ancien Testament grec[20]. Quant au Nouveau Testament, il est utilisé seulement dans les évangiles synoptiques. Nous le lisons trois fois dans les paraboles de Jésus (Mt 18,27 et Lc 10,33 et 15,20). Toutes les autres fois, il exprime le comportement de Jésus : une commotion profonde, très intense, un bouleversement intérieur, intime et physique à la fois, au niveau du ventre et des entrailles. En utilisant ce verbe, les synoptiques évoquent un comportement qui a ses racines en Dieu, Dieu qui agit « à cause de ses entrailles de compassion » (Lc 1,78)[21]. Par conséquent, quand Marc caractérise Jésus « pris aux entrailles », il nous met devant les yeux Jésus comme le Messie dans lequel la miséricorde et la tendresse de Dieu sont présentes[22] ; en lui la sympathie de Dieu pour les humains se manifeste pleinement[23].
Toujours dans le même verset, Marc nous dit pourquoi cette manifestation de la compassion divine en Jésus : parce que les personnes venues rencontrer Jésus « étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger » (v. 34). Et avec ces mots, l’Évangile fait référence au livre des Nombres, précisément au chapitre 27. Dans ce texte, Moïse – en désignant Josué comme son successeur pour guider Israël – prie Dieu en ces termes : « Que Yhwh, le Dieu qui donne la vie à toute chair fragile, établisse sur la communauté un homme … afin que la communauté de Yhwh ne soit pas comme des brebis qui n’ont point de berger » (No 27,16-17). Avec la référence à ce texte, Marc nous permet de comprendre Jésus comme le nouveau Moïse[24]. En lui les soins de Dieu pour Israël se manifestent clairement. En même temps, Marc nous permet de comprendre que l’élite politique et religieuse d’Israël, les maîtres de la loi, ceux qui prétend être les bergers[25] du peuple, ont failli complètement leur mission.
Écoutons donc, attentivement, ce récit sur Jésus : en effet, en Jésus pris aux entrailles nous avons notre seul berger.
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (6,30-34)
30 (Après leur première mission), les apôtres se réunissent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et (tout) ce qu’ils avaient enseigné. 31 Et (Jésus) leur dit : « Venez à l’écart, vers un lieu désert, et reposez-vous un peu ». En effet, comme il y avait beaucoup (de gens) qui venaient et repartaient, ils n’avaient même pas le temps de manger. 32 Et, dans la barque, ils s’en allèrent vers un lieu désert, à l’écart.
33 Et beaucoup de gens les virent s’éloigner et comprirent où ils allaient. Et (alors), à pied, de toutes les villes, ensemble ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux. 34 Et sortant (de la barque), (Jésus) vit une foule nombreuse. Il fut pris aux entrailles pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.
Prière d’ouverture
Jésus Christ, notre bon berger,
tu as voulu te faire notre compagnon de route :
à cause de nos infidélités,
ne nous laisse jamais seuls,
car nous risquons de nous perdre dans des pâturages arides
et dans une vallée obscure.
Continue donc à prendre soin de nous et à nous protéger des attaques des loups,
à nous nourrir avec de la nourriture très pure
et à nous conduire – toutes et tous – à liberté.
Amen[26].
[David Maria Turoldo, prêtre et poète, Italie, 1916-1992]
Prière des fidèles
* Après avoir dénoncé le mauvais comportement des bergers d’Israël, le prophète Jérémie annonce un nouveau berger, un descendant de David qui permettra au peuple de vivre « en sécurité ». Donne-nous, Seigneur Dieu, d’écouter le message de ce nouveau berger, qui est ton Fils Jésus. En lui nous pourrons mettre toute notre confiance ; c’est lui qui nous conduira – avec amour – vers toi, Seigneur.
* Le poète du psaume nous a fasciné(e)s en te présentant, Seigneur, comme notre berger, comme un berger qui prend soin de chacune et de chacun de nous. Tu nous accompagnes même si nous, individuellement, nous sommes comme « dans une vallée de profonde obscurité ». Et dès maintenant et aussi à la fin de notre vie, tu vas nous accueillir auprès de toi, à ta table. Que ce message puisse rester dans notre mémoire, de jour en jour, pour nous encourager.
* La lettre aux Éphésiens nous a présenté Jésus comme celui qui a créé « en lui, un seul Humain nouveau, faisant ainsi la paix ». C’est ainsi qu’il a pu « réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps ». Que cette expérience, que nous vivons ici dans cette eucharistie en faisant mémoire de lui, puisse faire de nous des personnes engagées, chaque jour, dans la construction de la paix dans nos quartiers.
* L’Évangile de Marc nous a touché(e)s profondément en disant que toi, Jésus notre frère, tu fus « pris aux entrailles pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger ». Oui, ton humanité, tes entrailles humaines te lient intimement à chacune et à chacun de nous. Que ce lien très intime puisse nous guider chaque jour de notre vie.
[1] Cf. L. Alonso Schökel – J.L. Sicre Diaz, I profeti, Borla, Roma, 1989, p. 595.
[2] Ainsi G. Fischer, Il libro di Geremia, Città Nuova, Roma, 1995, p. 122.
[3] Le texte insiste sur cette idée avec l’adjectif « juste » (v. 5) et « justice » (vv. 5.6).
[4] Cf. L. Alonso Schökel – J.L. Sicre Diaz, I profeti, Borla, Roma, 1989, p. 596. Cf. aussi G. Fischer, Jeremia 1-25, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2005, p 681.
[5] C. M. Martini, Il desiderio di Dio. Pregare i salmi, Centro ambrosiano, Milano, 2002, p. 67.
[6] Le texte hébreu utilise le mot « shèm », qui signifie « nom ». Mais, dans le langage biblique, le « nom » est révélateur de la personne, de son être intime. Ainsi J.-P. Prévost, Shém, dans Nouveau Vocabulaire Biblique, sous la direction de J.-P. Prévost, Bayard – Médiaspaul, Paris – Montréal, 2004, p. 187.
[7] Cf. E. Zenger, I Salmi. Preghiera e poesia, vol. 1. Col mio Dio scavalco muraglie, Paideia, Brescia, 2013, p. 201.
[8] Cf. E. Zenger, Psalm 23, dans F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Die Psalmen, Band I. Psalm 1-50, Echter, Würzburg, 1993, p. 155.
[9] Cf. L. Alonso Schökel, I Salmi, vol. 1, Borla, Roma, 1992, p. 461.
[10] Cf. J.-L. Vesco, Le psautier de David traduit et commenté, Cerf, Paris, 2006, p. 247.
[11] Francesco. E io sono preghiera. I Salmi nelle parole del Papa, Castelvecchi, Roma, 2018, p. 35.
[12] G. Ravasi, Lettere agli Efesini e ai Colossesi, EDB, Bologna, 1994, p. 59s. Pour d’autres détails, cf. J. Gnilka, Der Epheserbrief, Herder, Freiburg . Basel . Wien, 1990, p. 140.
[13] Ainsi R. Penna, Lettera agli Efesini. Introduzione, versione e commento, EDB, Bologna, 1988, p. 142.
[14] A propos du verbe « créer » utilisé seulement ici – dans tout le Nouveau Testament – avec le Christ comme sujet, cf. F. Montagnini, Lettera agli Efesini. Introduzione, Traduzione e Commento, Queriniana, Brescia, 1994, p. 181s.
[15] R. Penna, Lettera agli Efesini. Introduzione, versione e commento, EDB, Bologna, 1988, p. 144.
[16] Ainsi R. Schnackenburg, Der Brief an die Epheser, Benziger Verlag / Neukirchener Verlag, Zürich . Einsiedeln . Köln / Neukirchen Vluyn, 1982, p. 118.
[17] L’expression « qu’il appela apôtres » manque dans certains manuscrits mais elle est attestée dans certains manuscrits parmi les plus importants. Cf. A Textual Commentary on the Greek New Testament, by B. M. Metzger, United Bible Societies, London – New York, 1971, p. 80.
[18] Plus de quarante fois, Marc utilise le terme « disciple » pour parler des disciples de Jésus.
[19] Ainsi C. Focant, L’évangile selon Marc, Cerf, Paris, 2004, p. 247. A propos de Jésus, Marc utilise « enseigner » 16 fois.
[20] Cf. H. Köster, « splagchnon ktl. », dans Grande lessico del Nuovo Testamento, fondato da G. Kittel, continuato da G. Friedrich, Vol. XII, Paideia, Brescia, 1979, col. 907ss.
[21] Cf. A. Guida, Vangelo secondo Marco. Traduzione e commento, dans I Vangeli, a cura di R. Virgili, Ancora, Milano, 2015, p. 592.
[22] Ainsi H. Köster, « splagchnon ktl. », dans Grande lessico del Nuovo Testamento, fondato da G. Kittel, continuato da G. Friedrich, Vol. XII, Paideia, Brescia, 1979, col. 921s. Cf. aussi Francesco, Il cammino della speranza. Il Vangelo di Marco letto dal Papa, Castelvecchi, Roma, 2016, p. 78.
[23] J. Gnilka, Marco, Cittadella editrice, Assisi, 1987, p. 355.
[24] R. Pesch, Il vangelo di Marco. Parte prima. Testo greco, traduzione e commento, Paideia, Brescia, 1980, p. 545.
[25] A l’époque, les maîtres de la loi de Moïse on les appelait « bergers ». Cf. J. Jeremias, « poimên ktl. » dans Grande lessico del Nuovo Testamento, fondato da G. Kittel, continuato da G. Friedrich, Vol. X, Paideia, Brescia, 1975, col. 1202.
[26] D. M. Turoldo – G. Ravasi, « Lungo i fiumi ». I salmi. Traduzione poetica e commento, San Paolo, Cinisello Balsamo, 1987, p. 79.