Avent 2021:
deuxième semaine

 

 

Les paroles de Gabriel ou des anges à Marie

 

La semaine passée, nous nous sommes arrêté(e)s sur l’intervention de Dieu qui a envoyé l’ange Gabriel – ou des anges d’après le Coran – chez la jeune fille Marie, fiancée à Joseph. Et maintenant je veux lire attentivement les premiers mots de l’ange. Revenons donc sur la page de l’Évangile.

126Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu vers une ville de Galilée du nom de Nazareth, 27à une jeune fille vierge fiancée à un homme nommé Joseph, de la maison de David. Cette jeune fille vierge s’appelait Marie. 28Et, étant entré auprès d’elle, il lui dit: « Réjouis-toi, toi à laquelle a été donnée, d’une façon définitive, grâce ! Le Seigneur est avec toi ». 29Et elle, à ces mots, fut très troublée, et elle se demandait quel pouvait être le sens de cette salutation. 30L’ange lui dit: «Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu » (Luc 1,26-30).

Au verset 28, nous avons d’abord un impératif adressé à Marie: «Réjouis-toi». Et en grec, cet impératif est suivi d’un verbe qui joue sur les mêmes consonnes: en effet, «Réjouis-toi» est l’impératif du verbe «chairô», tandis que la structure «à laquelle a été donnée grâce» est un participe passif du verbe «charitoô» qui signifie donner grâce. Nous avons donc un impératif à la joie, et cet impératif est le résultat d’une action accomplie par Dieu: Dieu qui a donné sa grâce, d’une façon définitive, à Marie.

Et la phrase suivante de ce même verset souligne que la grâce en question n’est pas une grâce quelconque. Non, elle est une proximité, une présence continuelle de Dieu: «le Seigneur est avec toi». Et cette tournure reprend le message qu’un ange du Seigneur avait porté à Gédéon lorsque les Madianites opprimaient les Israélites[1]. Mais dans ce texte du livre des Juges, les mots de l’ange étaient adressés à un combattant. En effet, dans Juges 6,12 on lit: «L’ange du Seigneur apparut à Gédéon et lui dit : “Le Seigneur est avec toi, valeureux combattant!”. Et à ces mots Gédéon réagissait en demandant à l’ange: “Pardon, mon seigneur! Si le Seigneur est avec nous, pourquoi tous ces malheurs nous sont-ils arrivés?”» (Jg 6,13).

Mais, dans l’Évangile, la réaction de Marie est bien différente. Le message de l’ange Gabriel est surprenant, surprenant au point que Marie «à ces mots, fut très troublée, et elle se demandait quel pouvait être le sens de cette salutation» (v. 29). Marie est «troublée». C’est ce que Luc nous dit en utilisant un verbe qu’on lit seulement ici dans toute la Bible grecque, un verbe que les philosophes et les historiens utilisaient pour parler d’une personne bouleversée et troublée profondément[2]. Quant à Marie, son expérience de femme troublée est la réaction à la grâce, à la faveur divine que l’ange lui a annoncée[3].

Marie n’exprime pas à paroles son bouleversement intérieur, mais Gabriel le sent, il en est conscient. Voilà pourquoi il prend à nouveau la parole d’abord pour la rassurer: «Sois sans crainte, Marie». Ensuite, il donne la motivation de son impératif: «Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu». Et, à travers ces mots, Gabriel souligne l’affirmation précédente: «toi à laquelle a été donnée, d’une façon définitive, grâce!». Donc: au centre c’est la grâce: la grâce qui a été donnée par Dieu, la grâce que la jeune fille vierge a trouvée auprès de Dieu.

Après ces considérations sur le message surprenant de l’ange dans l’Évangile, c’est le moment de m’arrêter sur le Coran.

42En ce temps-là, les anges dirent: «O Marie! Dieu t’a choisie et t’a purifiée. Il t’a choisie parmi les femmes du monde. 43O Marie! Dévoue-toi à ton Seigneur, prosterne-toi et agenouille-toi avec ceux qui s’agenouillent. 44Voilà des nouvelles du secret que nous te révélons » (Sourate 3,42-44).

Même dans le Coran, l’affirmation centrale est sur l’action de Dieu: «O Marie ! Dieu t’a choisie». Et dans le même verset, le verbe choisir revient une seconde fois[4]: «Il t’a choisie parmi les femmes du monde».

Cette dernière affirmation me rappelle un petit texte qu’on lit dans le livre de Judith[5]. Ici nous avons Ozias, le chef d’une petite ville d’Israël, qui s’adresse à Judith, une femme veuve juive qui veut sauver sa ville en se fiant totalement à Dieu. A cette femme Ozias dit: «Bénie es-tu, ô fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes de la terre, et loué soit Yhwh, le Dieu qui a créé le ciel et la terre, qui t’a dirigée pour briser la tête du chef de nos ennemis» (Judith 13,18). Et le Coran présente un éloge semblable pour Marie. Mais, si Judith – à travers la violence – apportera la victoire à son peuple, Marie va contribuer au salut du monde entier non à travers la violence mais à travers son Fils, un homme non-violent.

Et, à propos de ces affirmations, je veux rappeler Tabarî, un musulman mort à Bagdad l’an 923, un musulman qui nous a laissé un grand commentaire du Coran. Dans son commentaire, Tabarî reprenait notre verset en écrivant: Marie, Dieu «t’a élue au-dessus des femmes des mondes, en t’élevant au-dessus des autres femmes des différents peuples qui vivaient à ton époque, élection due à ton obéissance envers Dieu et à la faveur dont il t’a gratifiée»[6]. Et le verset suivant nous présente Marie dans sa relation profonde avec Dieu: «O Marie! Dévoue-toi à ton Seigneur, prosterne-toi et agenouille-toi avec ceux qui s’agenouillent». Et ici, le premier verbe – «qanata» en arabe – évoque une idée d’ascèse: être en oraison, prier longuement dans un total abandon à Dieu[7].

C’est le moment de terminer ces considérations. Que l’attitude de Marie, son total abandon à Dieu puisse devenir un modèle pour nous[8]. C’est ainsi que nous pourrons découvrir la «grâce» de Dieu, la grâce que Dieu a donnée à Marie et aussi la grâce que Dieu donne, personnellement, à chacun et à chacune de nous.


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[1] Cf. H. Schürmann, Il vangelo di Luca. Parte prima, Paideia, Brescia, 1983, p. 135s.

[2] Xénophon, Les mémorables 4,2,40 ; Platon, Les lois 693c, Diodore de Sicile 19,73,7. Cf. aussi Flavius Josèphe, Antiquités juives 2,120.

[3] Cf. R. E. Brown, La nascita del Messia secondo Matteo e Luca, Cittadella, Assisi, 1981, p. 385.

[4] Cf. M. Gloton, Jésus le Fils de Marie dans le Coran et selon l’enseignement d’Ibn ‘Arabî, Albouraq, Beyrouth, 2006, p. 122.

[5] Pour cette référence à Judith 13,18 (et aussi à Juges 5,24 et à Lc 1,42), cf. Le Coran. Texte arabe et traduction française, par ordre chronologique selon l’Azhar, avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens, par S. A. Aldeeb Abu-Sahlieh, L’Aire, Vevey, 2009, p. 423, note au verset 42 de la sourate 3.

[6] Abû Ja‘far Muhammad Ibn Jarîr at-Tabarî, Commentaire du Coran. Abrégé, traduit et annoté par P. Godé, Éditions d’art les heures claires, Paris, 1986, tome III, p. 76.

[7] Cf. Le Coran. Traduction française et commentaire, par Si Hamza Boubakeur, Maisonneuve & Larose, Paris, 1995, p. 227.

[8] Cf. T. Gaïd, Les femmes dans le Coran. Récits, études et analyses à la lumière de la tradition musulmane, Éditions IQRA – Libraire Al Ghazali, Paris, 2005, p. 182.