Carême 2022 : quatrième semaine

Jésus : un don du ciel

 

Pendant cette semaine, je veux m’occuper d’une discussion à propos de Jésus. C’est ce qu’on lit dans l’Évangile selon Jean. Voici une traduction[1].

3 25Or il y eut une discussion entre les disciples selon Jean et un Juif à propos de purification. 26Et ils vinrent vers Jean et lui dirent: « Rabbi, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, celui auquel tu as rendu témoignage, le voici qui baptise et tous vont vers lui». 27Jean répondit et dit: «Un humain ne peut rien prendre, pas même une seule chose, si elle ne lui est pas donnée du ciel. 28 Vous-mêmes, vous m’êtes témoins que j’ai dit: Moi, je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant lui. 29Celui qui a l’épouse est l’époux; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’écoute, est comblé de joie à la voix de l’époux. Ainsi, telle est ma joie, et elle est en plénitude. 30Il faut que celui-là grandisse, et que moi, je diminue» (Jean 3,25-30).

            Cette page de l’Évangile part d’une discussion, d’une recherche sur le mot « purification ». Ce thème, Jean l’a déjà mentionné au chapitre 2, dans la page que nous avons lue ensemble la semaine passée, à propos du mariage et de la fête à Cana. Maintenant, au chapitre 3, le thème de la purification est lié au baptême, le baptême donné par Jésus. Dans tout le Nouveau Testament, seulement en Jean 3,22 on parle du baptême administré par Jésus : « Jésus alla avec ses disciples en terre de Judée et il y séjourna avec eux et il baptisait ». Et, devant cette action de Jésus, des personnes discutent et s’interrogent sur le sens de ce que Jésus est en train de faire.

            C’est ce que nous dit l’Évangile en utilisant le mot grec « zêtêsis », un mot qui reprend une racine grecque qui signifie «chercher», «interroger», « faire une investigation sur une loi ou sur un précepte»[2]. Cette discussion ou cette recherche[3] se vérifie « entre les disciples selon Jean et un Juif» (v. 25) à propos duquel l’Évangile ne nous donne pas d’autres détails[4].

Les disciples selon Jean, après avoir discuté avec ce Juif, se rendent chez Jean le Baptiste. Ils sont préoccupés parce que le baptême administré par Jésus a plus de succès que celui accompli par Jean.       C’est à cause de cette préoccupation qu’ils s’approchent de leur maître pour se plaindre du succès du Nazaréen. Et pourtant, Jean avait annoncé l’arrivée et la présence d’une personne plus importante que lui. Il avait déclaré: «Moi, je baptise dans l’eau ; au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas, celui qui vient derrière moi, celui dont moi je ne suis pas digne de déliez la courroie de ses sandales» (Jean 1,26-27).

            A ces disciples, le Baptiste répond d’abord avec une affirmation générale: «Un humain ne peut rien prendre, pas même une seule chose, si elle ne lui est pas donnée du ciel» (v. 27). Dans la situation évoquée par ses disciples, l’affirmation comporte deux faits précis: «Tous ceux qui viennent à Jésus lui ont été donnés par Dieu et tout ce dont Jésus dispose est un don de Dieu»[5]. Ensuite, dans les versets 28-30, le Baptiste revient sur sa relation avec Jésus : «Moi, Je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant lui» (v. 28). L’idée est claire: le Baptiste doit préparer la venue du Christ, du messie envoyé par Dieu. Entre le Baptiste et Jésus, il n’y a pas antagonisme ou rivalité, il y a amitié: «Celui qui a l’épouse est l’époux; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’écoute, est comblé de joie à la voix de l’époux ». Cette affirmation doit être comprise en pensant aux prophètes qui mentionnaient le peuple comme l’épouse de Dieu[6]. Maintenant l’époux prend avec soi l’épouse, parce qu’il est consacré messie. Et le Baptiste, dans sa qualité d’ami de l’époux, ne peut que se réjouir en écoutant la voix de l’époux[7], la voix de Jésus.

Après cette discussion à propos de Jésus dans l’Évangile, c’est le moment de passer au Coran. Et je pense à la Sourate 43[8] où on lit:

43 57Lorsqu’on cite comme exemple le fils de Marie, tes gens protestent avec véhémence 58 en disant: «Nos dieux sont-ils meilleurs, ou bien lui?». Ce n’est que pour disputer qu’ils te le citent [comme exemple]. Ils sont plutôt des gens disputeurs. 59Ce n’est qu’un serviteur que nous avons gratifié et fait de lui un exemple pour les fils d’Israël (Sourate 43,57-59).

            Pour comprendre ce texte, il faut savoir que, à la Mecque, il y avait une tribu dominante, les Qurayshites. Et, au temps de Muhammad, les Qurayshites ont toutes les raisons d’être satisfaits : leur cité jouit d’une prospérité sans précédent, ils sont riches et le système oligarchique en vigueur leur assure le pouvoir. C’est dire qu’ils n’ont, objectivement, aucune raison de souhaiter le moindre changement. Que, dans un tel contexte, ils aient mal accueilli le message coranique apporté par le Prophète, cela se comprend aisément, tant il est vrai que les principes moraux mis en évidence par le Coran – qui stigmatise le culte de l’argent au moins autant que celui des idoles – pouvaient difficilement s’accorder avec leur capitalisme mercantile[9]. Dans cette situation, on comprend pourquoi la réaction des Mecquois fut extrêmement violente quand Mohammad, questionné, déclara Jésus supérieur aux idoles qurayshites[10].

            Le thème de la proteste revient dans le verset 58 en insistant deux fois sur l’action de disputer. Mais, après cette insistance sur la mauvaise attitude des Mecquois, Dieu souligne l’identité et la fonction de Jésus: il est un «serviteur» de Dieu et il a une fonction très importante : Dieu a «fait de lui un exemple pour les fils d’Israël». Et, à ce propos, je rappelle Ismaïl ibn Kathîr qui revenait sur ce verset en écrivant: «Nous avons fait de lui une preuve, un argument, une démonstration de Notre omnipotence»[11]. Quant à l’autre aspect, Jésus comme «serviteur», on y reviendra dans une semaine. A bientôt, donc.

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[1] Cette traduction reprend, avec de petites modifications, celle de J. Zumstein, L’Évangile selon saint Jean (1-12), Labor et fides, Genève, 2014, p. 127.

[2] Cette signification, on la retrouve, dans l’AT, dans Isaïe 34,16; Psaume 119,45.94.155; 1 Chroniques 28,8. Ainsi L. Alonso Schökel (director), Diccionario bíblico hebreo-español, Editorial Trotta, Madrid, 1994, p. 186, sous la voix «darash». De la même racine on a le substantif «midrash» qui signifie « recherche », « commentaire », utilisé dans la Bible et, ensuite, dans la tradition juive pour parler de l’interprétation et de l’étude des textes bibliques. Cf. P. Chavot, Dictionnaire de DIEU, Édition de La Martinière, Paris, 2003, p. 430s sous la voix «Midrash».

[3] Pour le mot «recherche» comme traduction du grec «zêtêsis» du v. 25, cf. Y. Simoens, Evangelo secondo Giovanni, Edizioni Qiqajon, Comunità di Bose, Magnano (Bi), 2019, p. 152.

[4] J. Zumstein – L’Évangile selon saint Jean (1-12), Labor et fides, Genève, 2014, p. 131 – nous propose trois possibles identités à propos de ce Juif.

[5] Ainsi J. Zumstein, L’Évangile selon saint Jean (1-12), Labor et fides, Genève, 2014, p. 132.

[6] Cf. Isaïe 54,5 et Jérémie 2,2. Cf. aussi Osée 2 et le commentaire donné par L. Alonso Schökel – J.L. Sicre Diaz, I profeti, Borla, Roma, 1989, p. 988. Et l’idée de la communauté comme l’épouse du Christ sera reprise dans Apocalypse 21,2.9 et 22,17.

[7] J. Mateos – J. Barreto, Il vangelo di Giovanni. Analisi linguistica e commento esegetico, Cittadella, Assisi, 1982, p. 200.

[8] Pour une relation entre la page de l’Évangile et la Sourate 43,57ss cf. J.-D. Thyen, Bibel und Koran. Eine Synopse gemeinsamer Überlieferungen, Böhlau, Köln Weimar Wien, 1993, pp. 214-215.

[9] C. Addas, La Mecque, dans Dictionnaire du Coran, sous la direction de M. Ali Amir-Moezzi, Éditions Laffont, Paris, 2007, p. 542.

[10] Cf. Le Coran. Traduction française et commentaire, par Si Hamza Boubakeur, Maisonneuve & Larose, Paris, 1995, p. 1521 à propos du v. 57 de notre Sourate. D’autres données on peut les lire – toujours chez Boubakeur – dans son introduction à la Sourate 103 (pages 2017-2020).

[11] Ismaïl ibn Kathîr, L’exégèse du Coran en 4 volumes. Traduction : Harkat Abdou, Vol. 4, Sourate 41 (Ils s’articulent) – Sourate 114 (Les Hommes), Dar Al-Kutub Al-ilmiyah, Beyrouth, 2000, p. 1283.