Carême 2022 : troisième semaine

A Cana : un signe


Pendant cette troisième semaine de carême, je veux lire une page de l’Évangile de Jean, le récit des noces de Cana. Voici une traduction.

1Et le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée et la mère de Jésus était là. 2Jésus lui aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples. 3Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit: «Ils n’ont pas de vin». 4Et Jésus lui dit: «Que me veux-tu, femme? Mon heure n’est pas encore venue». 5 Sa mère dit aux serviteurs: «Quoi qu’il vous dise, faites-le». 6 Il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs, contenant chacune deux ou trois mesures. 7 Jésus leur dit: «Remplissez d’eau les jarres!»; et ils les remplirent jusqu’au bord. 8Et il leur dit: «Puisez maintenant et portez-en au maître du repas». Ils lui en portèrent. 9Lorsque le maître du repas goûta l’eau devenue vin et comme il ne savait pas d’où cela venait – les serviteurs le savaient, eux qui avaient puisé l’eau -, le maître du repas appelle le marié 10et lui dit: «Tout homme offre d’abord le vin de qualité et, lorsque les gens sont enivrés, le moins bon; toi, tu as gardé le vin de qualité jusqu’à maintenant!» 11Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes que fit Jésus; et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui (Jean 2,1-11).

Ici, sans entrer dans les détails de cette page, je veux m’arrêter d’abord sur le fait que Jésus est invité à un mariage, un mariage vécu par des personnes qui sont dans l’ancienne alliance. Mais Jésus n’appartient pas à cette alliance, il est invité, lui avec ses disciples qui font groupe avec lui[1]. Et cette participation – une participation active – de Jésus à ce mariage et à la fête révèle l’amour de Jésus pour la vie, l’amour et la joie[2].

Mais, en participant à ce mariage vécu dans l’ancienne alliance, Jésus apporte une nouveauté: grâce à Marie qui lui fait confiance, une confiance inconditionnelle, des jarres «destinées aux purifications des Juifs» (v. 6) subissent une destination nouvelle: apporter «le vin de qualité» littéralement «le beau vin» (v. 10).

Dans cette page de l’Évangile, il faut aussi s’arrêter sur le dernier verset : ce récit nous raconte « le commencement des signes», le premier des signes que Jésus a fait. Le mot «signe» («sêmeion» en grec) est très fréquent dans l’Évangile selon Jean[3] et ici il est utilisé surtout pour parler des miracles que Jésus accomplit. Et la notion de «signe» indique comment les miracles doivent être compris : ils renvoient au-delà d’eux-mêmes, ils sont destinés à révéler l’identité de celui qui les accomplit[4].

Après ces considérations sur la page de l’Évangile, je veux lire une petite section du Coran. Il s’agit de la sourate 23 titrée «al Mu’minûna», c’est-à-dire «Les croyants».

49Nous avons donné à Moïse le livre. Peut-être se dirigeront-ils. 50Nous avons fait du fils de Marie, ainsi que de sa mère, un signe; et nous les avons reçus intimement, jusqu’à un endroit élevé, reposant et arrosé d’une source essentielle. 51Ô envoyés! Mangez de bonnes [choses] et faites une œuvre vertueuse. Je suis connaisseur de ce que vous faites (Sourate 23,49-51).

Ici le Coran, comme nous avons déjà vu il y a une semaine, nous présente Jésus dans la ligne de Moïse, un messager auquel Dieu a confié la Torah, l’instruction que les Israélites devaient accueillir et mettre en pratique. Et notre texte, comme d’autres versets du Coran[5], mentionne aussi Marie – la seule femme indiquée avec son nome propre dans le Coran[6].

Dans le verset 50 de notre Sourate, le Coran associe à Jésus et à sa mère le mot «signe». Si dans l’Évangile le mot «signe» qualifie l’action accomplie par Jésus, dans ce verset du Coran «Jésus, le fils de Marie et sa mère, c’est-à-dire celle qui l’a conçu, produit et élevé, constituent à eux deux un seul signe indissociable, tous deux étant solidaires dans leur médiation universelle»[7].

Et cette idée est attestée aussi dans la sourate 21 où on lit: « Celle qui a gardé intacte son sexe, nous insufflâmes en elle de notre esprit, et nous avons fait d’elle et de son fils un signe pour les êtres de l’univers (Sourate 21,91). Et cette intimité qui lie Jésus et sa mère leur permet d’être reçus dans un même endroit: «et nous les avons reçus intimement, jusqu’à un endroit élevé, reposant et arrosé d’une source essentielle» [8]. Mais, à propos de cet endroit, les exégètes du Coran ont eu des incertitudes. Ces incertitudes étaient déjà évoquées par Ismïl ibn Kathîr, mort l’an 774 de l’hégire, donc l’an 1373 après Jésus Christ. Ce savant musulman, dans son commentaire du Coran, écrivait: cette colline qui a accueilli Jésus et Marie, «selon certains exégètes, elle se situait à Damas; selon d’autres, elle se trouvait en Palestine, selon d’autres encore, elle se trouvait à Jérusalem»[9].

C’est le moment de conclure cette page en soulignant un dernier détail. La page de l’Évangile évoque un repas auquel Jésus, sa mère et ses disciples participent, un repas dans lequel Jésus joue un rôle important. Quant à la section du Coran que nous venons de lire, elle termine avec une double invitation: « Ô envoyés ! Mangez de bonnes [choses] et faites une œuvre vertueuse» (v. 51). Que le repas avec un vin nouveau, littéralement avec un «bon» vin, et l’invitation à manger de bonnes [choses] et à accomplir une œuvre vertueuse nous accompagnent cette semaine et aussi dans les semaines qui viendront.

 

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[1] Cf. J. Mateos – J. Barreto, Il Vangelo di Giovanni. Analisi linguistica e commento esegetico, Cittadella, Assisi, 1982, p. 138.

[2] Ainsi J. Zumstein, Évangile selon Jean, dans Le Nouveau Testament commenté, sous la direction de C. Focant et D. Marguerat, Bayard – Labor et fides, Paris – Genève, 2012, p. 416.

[3] Dans l’Évangile de Jean, ce mot revient 17 fois, 13 fois en Matthieu, 7 fois dans Marc, 11 en Luc.

[4] Ainsi J. Zumstein, Évangile selon Jean, dans Le Nouveau Testament commenté, sous la direction de C. Focant et D. Marguerat, Bayard – Labor et fides, Paris – Genève, 2012, p. 417. Pour un commentaire plus complet de cette page de l’Évangile, cf., du même auteur, L’Évangile selon saint Jean (1-12), Labor et fides, Genève, 2014, pp. 93-100.

[5] Pour la liste de ces versets, cf. A. Godin et R. Foehrlé, Coran thématique. Classification thématique des versets du Saint Coran, Éditions Al-Qalam, Paris, 2004, pp. 250-252.

[6] Cf. M. Bar-Asher, Marie, dans Dictionnaire du Coran, sous la direction de M. Ali Amir-Moezzi, Éditions Laffont, Paris, 2007, pp. 535-538. Cf. aussi M. Chebel, Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard, Paris, 2009, pp. 274-276, sous la voix «Marie».

[7] M. Gloton, Jésus le Fils de Marie dans le Coran et selon l’enseignement d’Ibn ‘Arabî, Albouraq, Beyrouth, 2006, p. 232.

[8] Pour la traduction du v. 50 et pour l’intimité avec laquelle Dieu a accueilli Jésus et sa mère, cf. M. Gloton, Jésus le Fils de Marie dans le Coran et selon l’enseignement d’Ibn ‘Arabî, Albouraq, Beyrouth, 2006, p. 329s.

[9] Ismaïl ibn Kathîr, L’exégèse du Coran en 4 volumes. Traduction : Harkat Abdou, Vol. 3, Sourate 18 (La Caverne) – Sourate 40 (L’indulgent), 2000, p. 925. D’autres commentateurs pensent que ce lieu pourrait évoquer le paradis. Cf. C.M. Guzzetti, Bibbia e Corano. Confronto sinottico, Edizioni San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 1995, p. 273.