Carême 2022 : cinquième semaine

 

Jésus, mon serviteur que j’ai choisi

 

Comme je t’ai promis la semaine passée, en terminant la page sur le Coran, cette semaine je vœux revenir sur Jésus comme serviteur. C’est ce que nous lisons dans l’Évangile selon Matthieu.

Au chapître 12 de son Évangile, Matthieu présente des disciples qui – en jour de sabbat – ont faim et qui arrachent des épis et les mangent suscitant ainsi la réaction des pharisiens qui critiquent Jésus et lui disent : « Tes disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire durant le sabbat » (v. 2). Ensuite, dans une synagogue, Jésus guérit un homme qui avait une main sèche. Mais, après avoir vu Jésus guérir au jour de sabbat, les pharisiens, « étant sortis, tinrent conseil en vue de le perdre » (v. 14).

15 Mais l’ayant su, Jésus se retira de là. Et le suivirent des foules nombreuses et il les guérit tous. 16 Et il leur recommanda sévèrement de ne pas le rendre manifeste ; 17 et ça afin que soit accompli ce qui fut dit par Isaïe le prophète disant : 18 « Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon Bien-aimé en qui mon âme a pris plaisir. Je mettrai mon Esprit sur lui et il annoncera le droit aux nations. 19 Il ne disputera pas, il ne criera pas, ni nul n’entendra sa voix sur les places. 20 Un roseau déjà plié, il ne le cassera pas et une petite mèche fumante, il ne l’éteindra pas, jusqu’à ce qu’il ait mené le droit à la victoire. 21 Et en son nom les nations mettront leur espoir ». (Matthieu 12,15-21).

Après avoir connu le projet des pharisiens qui veulent le tuer, Jésus ne les affronte pas directement ; il se retire dans un autre lieu et il va prendre soin des personnes malades. Mais Jésus ne veut pas de publicité. En effet, c’est ainsi que s’accomplira le message contenu dans le livre d’Isaïe, ce message qui mentionne « le serviteur » de Dieu, le serviteur qui « ne disputera pas » et « ne criera pas ».

Dans la partie la plus récente du livre d’Isaïe, une partie qui remonte aux années 540 avant Jésus Christ, on a quatre chants qui parlent du serviteur du Seigneur. Le premier de ces chants (Isaïe 42,1-4) nous présente le serviteur comme une personne qui a été prise totalement dans l’intimité avec Dieu. Ce serviteur et doué de l’Esprit de Dieu et il assume sa propre tâche de porter le droit aux peuples. Et il va accomplir sa tâche d’une manière qui n’est pas sans risques pour sa vie[1].

Dans l’Évangile, Matthieu revient sur la traduction grecque de l’Ancien Testament, mais avec de petites modifications. D’abord, pour présenter la relation entre Dieu et son serviteur, l’Évangile utilise le verbe « airetizô » qui signifie « choisir », « préférer ». Ensuite on a l’expression « mon Bien-aimé », une expression plus intense par rapport à celle d’Isaïe 42,1 où il y a « mon élu ». Après cette expression que les Évangiles utilisent aussi ailleurs pour évoquer la relation intime de Dieu par rapport à Jésus[2], nous avons la tournure « prendre plaisir ». Oui, Dieu « a pris plaisir » dans son serviteur et mettra sur lui son Esprit, sa présence, son souffle, pour lui permettre de mener à bien sa mission auprès des nations.

Cette action du serviteur est exprimée avec des tournures négatives : « Il ne disputera pas, il ne criera pas, ni nul n’entendra sa voix sur les places. Un roseau déjà plié, il ne le cassera pas et une petite mèche fumante, il ne l’éteindra pas » (vv. 19-20). Le serviteur ne sera pas un combattant, il évitera toute forme de violence comme casser un roseau ou éteindre une mèche fumante ; son but sera de porter aux peuples – et pas seulement à Israël – une nouvelle norme de vie[3].

Et le verset 21, toujours dans la ligne du livre d’Isaïe, nous parle du serviteur qui, dans son rapport intime avec Dieu, accomplit un ministère universel : prenant ses distances par rapport aux projets des puissants, il devient la personne dans laquelle les nations, et surtout les pauvres, « mettront leur espoir »[4].

Cette page de l’Évangile me rappelle une petite section du Coran, plus précisément dans la Sourate titrée « Marie ». Marie a donné naissance – grâce à une conception miraculeuse – à Jésus. Cette conception miraculeuse éveilla des soupçons dans la famille de Marie, qui blâma son impudeur : « Ton père n’était pas un homme mauvais et ta mère n’était pas une prostituée », dirent-ils pour l’accabler (Sourate 19,28) [5]. A ces reproches Marie ne réagit pas. Elle se limite à faire un signe vers l’enfant. Et c’est lui-même à prendre la parole :

30 Il dit : « Je suis le serviteur de Dieu. Il m’a donné le livre et m’a fait prophète. 31 Où que je sois, il m’a fait béni. Il m’a enjoint, tant que je reste vivant, la prière et [aumône] épuratrice 32 et la bonté envers ma mère. Il ne m’a fait ni despote ni misérable ». (Sourate 19,30-32)[6].

Voici les premiers mots de Jésus, Jésus qui – encore dans son berceau[7] (v. 29) – déclare aux gens la vérité de sa naissance et, d’une façon indirecte, l’innocence de Marie. Mais il déclare aussi sa venue en tant que serviteur de Dieu[8] « car il sait avec certitude qu’il ne fait que la volonté de son Seigneur et qu’il est entièrement pénétré par les caractères de Celui-ci »[9]. Dans la phrases suivante, l’enfant Jésus dit quelle sera sa fonction : Dieu « m’a donné le livre et m’a fait prophète » ; en d’autres termes, Jésus est porteur d’un Livre, l’Évangile, et – en annonçant son Évangile – Jésus aura une fonction prophétique.

Et, dans les versets suivants, Jésus précise sa relation avec Dieu : Dieu a fait de lui un être « béni ». Et, dans cette condition, il devra suivre le style de vie que Dieu lui-même lui a ordonné : « la prière et [aumône] épuratrice et la bonté envers ma mère ». Et ici par « aumône épuratrice », « zakat » en arabe, on doit entendre des dons à offrir aux pauvres et aussi l’horreur du péché [10]. Avec cette attitude d’ouverture envers les pauvres, Jésus mentionne aussi sa bonté envers sa mère. Il se comporte ainsi comme Jean le Baptiste que la même Sourate, au verset 14, présente dans sa « bonté envers ses parents ». Enfin, dans les derniers mots du verset 32, après la bonté de Jésus pour sa maman et après l’attention et la solidarité envers les pauvres, Jésus apparaît comme une personne qui refuse la violence : Jésus est un serviteur, non un despote ! Que ce comportement de Jésus puisse devenir, pour nous, un modèle à imiter, jour après jour. Et, en nous laissant conduire par lui, nous serons ensemble, ensemble aussi avec les musulmans qui samedi 2 commencent le Ramadan.

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[1] H.-W. Jüngling, Il libro di Isaia, dans E. Zenger (ed.), Introduzione all’Antico Testamento, Queriniana, Brescia, 2008, p. 662.

[2] Il s’agit du récit du baptême de Jésus et celui de la transfiguration : Mt 3,17 ; 17,5 ; Mc 1,11 ; 9,7 ; Lc 3,22 ; 9,35.

[3] Ainsi O. Da Spinetoli, Matteo. Commento al “Vangelo della chiesa”, Cittadella editrice, Assisi, 1983, p. 360.

[4] Cf. S. Fausti, Una comunità legge il vangelo di Matteo, EBD, Bologna, 2007, p. 231.

[5] Ainsi M. Bar-Asher, Marie, dans Dictionnaire du Coran, sous la direction de M. Ali Amir-Moezzi, Éditions Laffont, Paris, 2007, p. 536.

[6] Pour une traduction presqu’identique à celle-ci, cf. Le Coran. Texte arabe et traduction française, par ordre chronologique selon l’Azhaar, avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens, par S. A. Aldeeb Abu-Sahlieh, L’Aire, Vevey, 2009, p. 124.

[7] Pour Jésus qui parle dès sa naissance, on a un parallèle dans les Évangiles apocryphes, en particulier dans l’Évangile arabe sur l’enfance du Sauveur 1,1-2 : « Joseph, le pontife du temps du Christ raconte que Jésus parla tandis qu’il était encore dans la crèche. C’est ainsi qu’il dit à sa maman : “Je suis Jésus, le fils de Dieu, le Verbe que tu as donné à la lumière conformément au message de l’ange Gabriel. Mon Père m’a envoyé pour le salut du monde” ». Une traduction de tout cet Évangile, on peut la lire dans Gli apocrifi del Nuovo Testamento. Vangeli. Infanzia. Passione. Assunzione di Maria, a cura di M. Erbetta, Marietti, Casale Monferrato, 1981, p. 104.

[8] Cette donnée on la retrouve aussi dans la Sourate 4, au verset 172 : « Jamais le Christ n’a dédaigné d’être un serviteur de Dieu ». On lit aussi dans la Sourate 43 : « [Jésus] n’est qu’un serviteur que Nous avons comblé de nos faveurs et proposé en exemple aux enfants d’Israël » (v. 59).

[9] Ainsi M. Gloton, Jésus le Fils de Marie dans le Coran et selon l’enseignement d’Ibn ‘Arabî, Albouraq, Beyrouth, 2006, p. 311.

[10] Ainsi dans Le Coran. Traduction française et commentaire, par Si Hamza Boubakeur, Maisonneuve & Larose, Paris, 1995, p. 987. Cf. aussi Il Corano. Introduzione di K. Fouad Allam, traduzione e apparati critici di G. Mandel, UTET, Torino, 2006, p. 668.