Abraham dans la Bible et le Coran

Le mois passé, j’ai réfléchi sur Noé auquel Dieu a promis « que toute chair ne soit pas effacée par le déluge » (Siracide 44,18). Et, pendant ce mois, toujours en lisant le Siracide, je veux me pencher sur Abraham. Voici d’abord une traduction de son texte :

19 Abraham, père de nombreuses nations,
n’infligea à sa gloire aucune tache.
20 C’est qu’il prenait soin du précepte du Très-Haut
et entra en alliance avec lui.
En sa chair il incisa la loi,
et, éprouvé, il fut trouvé sincère.
21 C’est pourquoi par serment [Dieu] lui promit
de bénir les nations dans sa descendance,
de les établir d’une mer à la mer
et du fleuve jusqu’aux confins de la terre (Siracide 44,19-21).

En écrivant ces phrases sur Abraham[1], le Siracide reprend surtout des données qu’on peut lire dans le livre de la Genèse[2]. Il ouvre sa page en mentionnant « de nombreuses nations » qui peuvent reconnaître Abraham comme leur ancêtre, littéralement comme leur « père ». Et dans cette phrase on voit une référence à Genèse 17,5,là où Dieu dit à Abram : « Ton nom ne sera plus appelé Abram, et ton nom sera Abraham, car je te donnerai d’être père d’une multitude de nation »[3].

Après la mention de la descendance très nombreuse d’Abraham, le Siracide affirme : il « n’infligea à sa gloire aucune tache » (v. 19b). Ce ‘portrait’ d’Abraham passe sous silence le mensonge qu’Abraham avait dit au Pharaon et à Abimelekh, en présentant sa femme comme sa sœur[4]. En laissant tomber ce mensonge qu’Abraham avait raconté pour se sauver, le Siracide nous donne un regard global sur Abraham en affirmant : il « n’infligea à sa gloire aucune tache ». En écrivant cette phrase, le Siracide était conscient de ce qu’il lisait dans le livre des Proverbes : « Le juste tombe sept fois et se relève » (Proverbes 24,16). En plus, en parlant d’Abraham, le Siracide nous suggère un fort contraste entre Abraham et le roi Salomon à propos duquel il écrira : « [Salomon,] tu infligeas une tache à ta gloire » (Siracide 47,20).

Dans les versets 20 et 21, le Siracide s’arrête sur la relation entre Abraham et Dieu. L’accent est d’abord sur le « précepte du Très-Haut ». Important est ici l’utilisation du singulier le « précepte » qui évoque un précepte conforme à la création[5] et qui respecte toutes les créatures de Dieu, un précepte qu’on pourrait qualifier comme ‘écologique’. Et Abraham, nous dit notre verset, ne se limitait pas à obéir ; non, il prenait soin de ce précepte, de cette norme inscrite dans la création.

Toujours dans ce verset, le Siracide mentionne l’alliance, l’alliance entre Dieu et Abraham, une alliance que Abraham incarne dans sa personne, dans sa « chair »[6], dans sa propre faiblesse.

Enfin, dans le verset 21, le Siracide évoque la ‘réponse’ de Dieu devant ce comportement d’Abraham : « C’est pourquoi par serment [Dieu] lui promit de bénir les nations », toutes les nations, « d’une mer à la mer et du fleuve jusqu’aux confins de la terre ». Ces mots qui terminent la section sur Abraham reviennent sur la première phrase « Abraham, père de nombreuses nations » et lui donnent une dimension universelle : « d’une mer à la mer et du fleuve jusqu’aux confins de la terre ». Abraham n’est pas seulement père d’Israël, mais de tous les peuples, un père pour les chrétiens et aussi pour les musulmans.

Cette ‘réponse immense’ de Dieu devant le comportement d’Abraham dépasse tout ce qu’une personne pourrait imaginer. En nous proposant Abraham comme modèle, le Siracide nous invite à prendre soin du précepte ou de la parole de Dieu. En agissant comme Abraham, chacune et chacun de nous pourra, petit à petit, prendre conscience de la générosité de Dieu, Dieu qui répond à notre engagement d’une façon surabondante, répondant à nos besoins et aussi au monde entier.

Dans le Coran, de nombreux passages parlent d’Abraham qui est le croyant par excellence. A lui la Sourate 14, qui porte son nom, est plus spécialement consacrée[7]. D’autres textes, comme le verset 41 de la Sourate 19, qualifient Abraham comme prophète et sa descendance comme constituée de prophètes : Ismaïl, Isaac et Jacob (Sourate 29,27)[8]. Mais aujourd’hui, parmi les nombreux textes coraniques qui mentionnent Abraham[9], je veux m’arrêter sur un verset de la Sourate 4. Voici une traduction :

4125 Qui professe une plus belle religion que celui qui se soumet à Dieu, qui fait le bien et suit la Religion d’Abraham, un vrai croyant? Dieu a pris Abraham pour ami intime.

Le verset 125 se concentre sur l’identité du « vrai croyant ». Le vrai croyant est présenté avec trois caractéristiques : il est « celui qui se soumet à Dieu, qui fait le bien et suit la Religion d’Abraham ». D’abord la relation à Dieu, une soumission, une soumission totale à sa volonté. Ensuite, la relation à Dieu se vit en faisant le bien. Enfin, le Coran nous présente un modèle : Abraham.

Quant à Abraham, il est « un vrai croyant », « hanîf » en arabe, un terme qui met l’accent sur l’idée de confiance et de sécurité. Dans le Coran, ce terme qui revient seulement 9 fois, est utilisé 6 fois[10] pour caractériser Abraham. Et la dernière phrase du verset 125 nous montre la réaction de Dieu. Étant donné qu’Abraham vivait comme un vrai croyant, Dieu l’a pris pour « ami intime », « khalîl » en arabe. Ce terme qui exprime une familiarité et un lien d’amour profond, est devenu – dans l’Islam – le nom canonique d’Abraham. Et ce terme, appliqué à Abraham, correspond à l’expression hébraïque que l’Ancien et le Nouveau Testament appliquent au même personnage en Isaïe 41,8 ; 2 Chroniques 20,7 et Jacques 2,23 : Abraham ami de Dieu[11].

C’est le moment de conclure. Gardons devant nous Abraham et prenons-le comme modèle. C’est ainsi que nous pourrons vivre comme de vrai(e)s croyant(e)s, et Dieu nous accueillera comme des « ami(e)s intimes ».

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[1] Pour une analyse plus vaste sur Siracide 44,19-21, cf. R. Petraglio, Il libro che contamina le mani. Ben Sirac rilegge il libro e la storia d’Israele, Edizioni Augustinus, Palermo, 1993, pp. 66ss.

[2] Cf. C. Mopsik, La sagesse de ben Sira. Traduction de l’hébreu, introduction et annotation, Verdier, Lagrasse, 2003, p. 279s.

[3] « Abram » signifie « le Père est sublime », tandis que « Abraham » signifie « le Père aime », e la dernière syllabe fait référence à la parole « hamôn », qui signifie « multitude» en faisant ainsi référence aux « nombreuses nations ». Cf. O. Odelain et R. Séguineau, Dictionnaire des noms propres de la Bible, Cerf, Paris, 2002, p. 7, sous la voix « Abraham ». Cf. aussi C. Westermann, Genesi, Edizioni PIEMME, Casale Monferrato, 1989, p. 139.

[4] Cf. Genèse 12,10-20 et 20,1-18.

[5] Ainsi B. M. Zapff, Jesus Sirach 25-51, Echter Verlag, Würzburg, 2010, p. 322.

[6] D’après certains commentateurs, cette inscription dans la chair pourrait évoquer la circoncision. Cf. C. Mopsik, La sagesse de ben Sira. Traduction de l’hébreu, introduction et annotation, Verdier, Lagrasse, 2003, p. 280, note 1.

[7] Ainsi P. Chavot, Dictionnaire de DIEU, Édition de La Martinière, Paris, 2003, p. 9, sous la voix « Abraham ».

[8] Cf. M. Chebel, Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard, Paris, 2009, p. 14, sous la voix « Abraham ».

[9] Pour les 69 versets du Coran qui font mention d’Abraham cf. A. Godin – R. Foehrlé, Coran thématique. Classification thématique des versets du Saint Coran, sous la direction de A. Cherifi Alaoui, Éditions Al Qalam, Paris, 2004, p. 216-219.

[10] Sourate 2,135; 3,95; 4,125; 6,161; 16,120; 16,123. Cf. A. Godin – R. Foehrlé, Op. cit., p. 452.

[11] Cf. Il Corano, a cura di A. Ventura. Commenti di A. Ventura, I. Zilio-Grandi e M. Ali Amir-Moezzi, Mondadori, Milano, 2010, p. 488.