Eucharistie : 4 septembre 2022

23ème dimanche du Temps Ordinaire — Année C

 

Réfléchir, décider, suivre…

 

Première lecture

 

Le livre de la Sagesse a été composé, probablement, une dizaine d’années avant la naissance de Jésus. L’auteur est un juif qui vit en Égypte, à Alexandrie. Il est surpris de voir comment Rome, sous l’empereur Auguste, tient dans ses mains le nord et le sud de la Méditerranée. Son gouvernement est-il comparable à celui de Salomon qui avait vécu un millénaire avant lui ?

La partie centrale du livre de la Sagesse (6,22-9,18) nous présente, pour ainsi dire, une autobiographie de Salomon. Salomon fait un discours sur la sagesse et, ensuite (9,1-18), une prière pour la demander à Dieu. Cette prière s’inspire de la prière de Salomon mentionnée dans le Premier livre des Rois (3,6-9) et dans le Deuxième livre des Chroniques (1,8-10).

Dans le livre de la Sagesse, la prière de Salomon[1] est en trois strophes. La première (vv. 1-6) souligne que l’homme « sans la sagesse qui vient de toi, n’est rien » (v. 6). Dans la deuxième (vv. 7-12), Salomon parle de soi-même et demande à Dieu la sagesse : « Fais-la descendre du trône de ta gloire pour que je connaisse ce qui te plaît » (v. 10). Enfin, dans la troisième (vv. 13-18), celle qu’on va lire ce matin, la réflexion est sur la condition humaine. Chaque humain est corps et âme. « Le corps, périssable, est un poids pesant pour notre âme » (v. 15), il est comme une tente fragile qui « surcharge l’esprit » en lui infligeant des préoccupations au-delà de toute mesure[2]. Et l’homme, qui a déjà de la peine à comprendre la réalité quotidienne et terrestre, n’est pas en mesure de connaître la volonté de Dieu : « Ta volonté, qui donc l’aurait connue, si tu n’avais donné toi-même la Sagesse, si tu n’avais envoyé d’en haut ton Esprit saint ? » (v. 17).

 

Lecture du livre de la Sagesse (9,13-18)

 

13 Quel humain peut connaître la volonté de Dieu

et qui peut se faire une idée de ce que veut le Seigneur ?

14 Car les raisonnements des mortels sont incertains,

et instables, nos pensées.

15 Car le corps, périssable, est un poids pesant pour notre âme,

et cette tente terrestre surcharge l’esprit avec des préoccupations multiples.

16 Déjà nous avons de la peine à nous représenter les réalités de la terre,

et ce qui est à portée de nos mains, nous le découvrons avec difficulté.

Mais ce qui est dans les cieux, qui pourrait le découvrir ?

17 Ta volonté, qui donc l’aurait connue,

si tu n’avais donné toi-même la Sagesse,

si tu n’avais envoyé d’en haut ton Esprit saint ?

18 Seulement ainsi les habitants de la terre sont revenus sur un chemin droit,

et les humains ont été instruits de ce qui te plaît :

par la Sagesse ils ont été sauvés.

 

Psaume


Le psaume 90 est une lamentation adressée à Dieu et, en même temps, un regard théologique sur l’histoire[3]. De ce psaume, nous allons lire quatre strophes.

La première strophe (vv. 3-4) fait référence au livre de la Genèse. Dans cet ancien récit, à l’homme qui a désobéi à Dieu, Dieu dit : « A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes à la terre, car de la terre tu as été pris ; oui, tu es poussière, et à la poussière tu retourneras » (Gen 3,19). Sur ce verbe « retourner », retourner à la terre, à la poussière, le poète revient deux fois. Ensuite il constate : même la vie la plus longue d’un humain, même mille ans « à tes yeux, sont aussi brefs… comme une heure de la nuit ». 

Dans la deuxième strophe (vv. 5-6), le poète revient sur la mort. Elle est la conséquence de notre fragilité, mais elle est aussi le résultat de l’intervention personnelle de Dieu. En s’adressant à Dieu, le poète ose dire : les humains, « tu les emportes » (v. 5). Oui, la mort est comme une inondation, un déluge ou une tempête qui emporte les humains et déracine tout, d’un moment à l’autre[4]. Enfin, la mort est comme le sommeil qui disparaît au matin, comme l’herbe qui fleurit le matin, puis elle passe[5], elle sèche.

Dans la troisième strophe (vv. 12-13), un peu comme dans le livre de la Sagesse, le poète demande à Dieu : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours et nous pourrons arriver à un cœur de sagesse ».

Ensuite, dans le verset 13, devant la faiblesse, la solitude et l’abandon vécus par les humains, le poète dit à Dieu : « Retourne, Yhwh ! Jusqu’ à quand… ? ». Ici, dans l’impératif, le poète utilise encore une fois le verbe « retourner ». Mais maintenant le poète utilise ce verbe pour inviter Dieu à retourner vers sa compassion pour nous les humains[6], pour nous qui sommes ses serviteurs.

Dans la dernière strophe (vv. 14 et 17), nous avons encore des requêtes adressées à Dieu : nous lui demandons son « amour », un amour qui nous rassasie, et sa « douceur », une douceur qui nous prend et nous embrasse.

Et, en terminant le psaume, le poète rappelle à Dieu les œuvres des humains. Elles sont fragiles. Mais Dieu peut intervenir et les rendre solides. Et ça, grâce à « la douceur du Seigneur ».

Quant à nous, ce matin, nous voulons exprimer à Dieu notre confiance et notre remerciement. Et ça avec les premiers mots du psaume (v. 1), là où le poète dit à Dieu :

Seigneur, pour nous tu as été un refuge

de génération en génération.

Ce sera notre refrain, à la fin de chaque strophe.

 

Psaume 90 (versets 3-4. 5-6. 12-13. 14.17ab)

3 Tu fais retourner les humains à la poussière,

tu leur dis : « Retournez à la terre, fils et filles de l’humain terrestre ».

4 Oui, mille ans, à tes yeux, sont aussi brefs

comme la journée d’hier, déjà passée, ou comme une heure de la nuit.

Refr. :             Seigneur, pour nous tu as été un refuge

de génération en génération.

5 Tu les emportes ; ils sont

comme le sommeil qui disparaît au matin,

comme l’herbe qui passe :

6 elle fleurit le matin, puis elle passe ;

elle se fane sur le soir, elle est sèche.

Refr. :             Seigneur, pour nous tu as été un refuge

de génération en génération.

12 Apprends-nous la vraie mesure de nos jours

et nous pourrons arriver à un cœur de sagesse.

13 Retourne, Yhwh ! Jusqu’ à quand… ?

Aie compassion de tes serviteurs !

Refr. :             Seigneur, pour nous tu as été un refuge

de génération en génération.

14 Rassasie-nous de ton amour au matin,

et nous chanterons, nous nous réjouirons durant tous nos jours.

17 Que la douceur du Seigneur notre Élohim soit sur nous !

Rends solide pour nous l’œuvre de nos mains.

Refr. :             Seigneur, pour nous tu as été un refuge

de génération en génération.

 

Deuxième Lecture


La lettre à Philémon est la plus courte lettre que nous avons de Paul. Elle date des années 54-55. Paul est en prison, probablement à Éphèse, dans l’actuelle Turquie, et il écrit à Philémon qui vivait à Colosses. Ce chrétien, qui accueillait dans sa maison la communauté chrétienne locale, avait un esclave païen, Onésime dont le nom signifie « Utile », « Avantageux ». Philémon était donc un chrétien ouvert et respectueux : il n’a pas obligé son esclave à devenir chrétien[7].

Pour des raisons que nous ne connaissons pas, cet esclave a fui la maison de Philémon et s’est rendu chez Paul et, grâce à Paul, il est devenu chrétien. Paul le considère comme son enfant, l’enfant « que j’ai engendré en prison » (v. 10).

Et maintenant Paul renvoie Onésime chez son maître, en demandant à Philémon de décider lui-même sur l’avenir de son esclave. Au moment de la fuite, Philémon a perdu un esclave, maintenant il a la possibilité de retrouver en lui non plus un esclave mais un frère, « un frère bien-aimé » (v. 16).

Voilà l’exhortation que Paul adresse à Philémon. Philémon pourra l’accueillir comme une exhortation qui lui arrive de son « frère [dans la foi] » (v. 17)[8]. Pour Onésime il s’agit donc d’un changement radical : un homme autrefois inutile (v. 11) est désormais devenu utile par la miséricorde de celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu, récupérer ce qui semble irrécupérable[9].

 

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre à Philémon (9b-17)

Mon bien-aimé, 9b oui, moi Paul, un homme vieilli et, de plus, maintenant prisonnier à cause de Jésus Christ, 10 je te prie pour mon enfant, celui que j’ai engendré en prison, Onésime. 11 Autrefois il t’a été inutile, mais maintenant il te sera bien utile, à toi comme à moi. 12 Je te le renvoie, lui qui est comme mes propres entrailles.

13 J’aurais voulu le retenir près de moi, pour qu’il me rende des services à ta place, pendant que je suis dans les chaînes pour l’Évangile. 14 Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, afin que tu ne fasses pas le bien par obligation, mais de bon cœur. 15 Onésime a peut-être été séparé de toi pour un temps, afin que tu le retrouves pour l’éternité 16 non plus comme un esclave, mais mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé. Il l’est tellement pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien dans sa condition humaine que dans le Seigneur. 17 Si donc tu me tiens pour ton frère [dans la foi], accueille-le comme si c’était moi.

Évangile

 

La partie centrale de l’Évangile de Luc (9,51-19,27) est un long récit du voyage de Jésus vers Jérusalem : Jésus va vers Jérusalem, vers sa passion. Et, aux foules qui font route avec lui, il indique les conditions pour devenir ses disciples. En effet, il y a des personnes, les douze, que Jésus lui-même à choisies. Mais aussi d’autres personnes peuvent le suivre. Et elles doivent être conscientes qu’il s’agit d’un choix, un choix fruit d’une réflexion.

La page est structurée en deux moments. Dans le premier (vv. 25-27), Jésus présente un ‘portrait’ du disciple. Le disciple ne renonce pas à ses relations de famille. Il aime les siens, mais il donne sa ‘préférence’ à sa relation vers Jésus, il vit sa relation avec les siens à l’intérieur de sa relation avec Jésus. Au centre de tout, au centre de sa vie, il faut mettre Dieu et le Christ[10].

Dans la suite de son discours, Jésus nous livre deux petites paraboles. D’abord (vv. 28-30) celle d’un homme – probablement un paysan – qui veut construire une tour dans ses champs, une tour où ses ouvriers peuvent vivre, déposer leurs instruments de travail et les récoltes[11]. Dans la seconde parabole (vv. 31-32), le protagoniste est un roi qui part faire la guerre à un autre roi.

Dans les deux situations, un temps de réflexion est important, fondamental. Une réflexion pour voir si on a des moyens pour la construction de la tour. Autrement la conséquence est là : tous vont rire de ce paysan. Une réflexion indispensable aussi avant d’aller faire la guerre. Le risque d’être vaincu et tué est là : pendant que l’autre est encore loin, on peut lui envoyer une ambassade et demander les conditions de paix.

Enfin, la conclusion, inattendue. Les deux paraboles invitent à réfléchir sur l’avoir : le paysan doit conter ses sous, le roi ses soldats. Pour les imiter, le lecteur de l’Évangile est invité… à l’abandon : nous devons nous débarrasser de nos fausses sécurités. Pour suivre Jésus, nous devons – jour après jour[12] – “prendre congé” de nos biens[13] : ils nous donnent une sécurité… fausse.

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (14,25-33)

25 De grandes foules faisaient route avec Jésus. Il se retourna et leur dit : 26 « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. 27 Celui qui ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi, celui-là ne peut pas être mon disciple.

28 Qui d’entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi la terminer ? 29 Autrement, s’il pose les fondations sans pouvoir achever l’ouvrage, tous ceux qui le verront se mettront à rire de lui 30 en disant : “Cet homme a commencé à bâtir et il n’a pas été capable d’achever l’ouvrage”.

31 Ou quel roi, quand il part faire la guerre à un autre roi, ne s’assied pas d’abord pour examiner s’il est capable, avec dix mille hommes, d’affronter celui qui marche contre lui avec vingt mille ? 32 Au cas contraire, pendant que l’autre est encore loin, il envoie une délégation pour demander les conditions de paix.

33 De la même façon, donc, quiconque parmi vous ne prend pas congé de tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple ».

 

Prière d’ouverture


 
Reçois, Seigneur, toute ma liberté

 Prends, Seigneur, et reçois toute ma liberté,

ma mémoire, mon intelligence, toute ma volonté

et donne-moi, donne-moi, donne-moi seulement de t’aimer.

Reçois tout ce que j’ai, tout ce que je possède.

C’est toi qui m’as tout donné. A toi, Seigneur, je le rends.

Et donne-moi, donne-moi, donne-moi seulement de t’aimer.

Tout est à toi, disposes-en selon ton entière volonté.

Et donne-moi ta grâce : elle, seule, me suffit.

Et donne-moi, donne-moi, donne-moi seulement de t’aimer[14].

[Saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus : 1491-1556]

 

Prière des fidèles


* Le livre de la Sagesse nous a aidé(e)s à prendre conscience de notre incapacité : nous ne pouvons pas nous faire une idée de ce que tu veux de nous, Seigneur. Seulement la Sagesse, seulement ton Esprit peut nous indiquer ce qui te plaît. Donne-nous, donc, ta Sagesse, ton Esprit.

* Le psaume a mis l’accent sur notre faiblesse. Chacune et chacun, nous devons retourner à la terre et à la mort. Et pourtant, même si la mort nous attend, tu peux nous rassasier de ton amour. Et cela nous suffit. « Nous chanterons, nous nous réjouirons durant tous nos jours ». Et que, aussi à la fin de notre vie, « que la douceur du Seigneur notre Élohim soit sur nous ! »

* La lettre à Philémon nous permet de comprendre comment Paul voit les chrétiens : des personnes qui n’ont plus besoin de règles dictées par d’autres, des personnes qui savent prendre des décisions « de bon cœur », à partir de l’amour pour les autres. Les autres sont des sœurs et des frères, comme Onésime. Permets-nous, Seigneur Jésus, de grandir, de devenir adultes et cohérent(e)s aussi dans les conséquences de notre foi.

* L’Évangile que nous venons d’écouter nous demande de réfléchir. C’est comme pour l’homme qui veut construire une tour, ou pour celui qui veut partir en guerre : il doit « examiner s’il est capable ». Quant à nous, devant ton invitation à te suivre, nous devons reconnaître notre faiblesse. Mais nous pouvons aussi te faire confiance. Sur la route, nous ne sommes pas seul(e)s. Veuille nous accompagner, Jésus notre frère !

 

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[1] Cf. J. Vílchez Líndez, Sapienza, Borla, Roma, 1990, pp. 317ss.

[2] Cf. H. Hübner, Die Weisheit Salomons, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1999, p. 130.

[3] Cf. E. Zenger, Salmi. Preghiera e poesia. Vol. 2. L’aurora voglio destare, Paideia, Brescia, 2013, p. 182.

[4] Cf. G. Ravasi, Il libro dei salmi. Commento e attualizzazione. Vol. II (Salmi 51-100), EDB, Bologna, 2015, p. 886.

[5] Pour la répétition du verbe « passer » aux vv. 5-6, cf. D. Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament. Tome 4. Psaumes, Academic Press – Vandenhoeck & Ruprecht, Fribourg – Göttingen, 2005, p. 638s.

[6] Cf. G. Ravasi, Il libro dei salmi. Commento e attualizzazione. Vol. II (Salmi 51-100), EDB, Bologna, 2015, p. 893.

[7] Cf. E. Steffek, Épître à Philémon, dans Le Nouveau Testament commenté, sous la direction de C. Focant et D. Marguerat, Bayard – Labor et fides, Paris – Genève, 2012, p. 996.

[8] Pour cette interprétation du terme grec, cf. E. Reinmuth, Der Brief des Paulus an Philemon, Evangelische Verlagsanstalt, Leipzig, 2006, p. 48s.

[9] Ainsi D. Furter, Les Épîtres de Paul aux Colossiens et à Philémon, Edifac, Vaux-sur-Seine, 1987, p. 251.

[10] Cf. V. Magno, Un minuto di Vangelo. La « buona Notizia » in Radio RAI, Edizioni messaggero, Padova, 2007, p. 156.

[11] F. Bovon, L’Évangile selon saint Luc. 9,51-14,35, Labor et fides, Genève, 1996, p. 475.

[12] En grec, le verbe « prend congé » est au présent. Il n’indique pas une décision prise au commencement, au moment de devenir disciple. Il indique une attitude constante. Cf. G. Rossé, Il Vangelo di Luca. Commento esegetico e teologico, Città Nuova, Roma, 2012, p. 594.

[13] F. Bovon, L’Évangile selon saint Luc. 9,51-14,35, Labor et fides, Genève, 1996, p. 480.

[14] Le grand livre des prières. Textes choisis et présentés par Ch. Florence et la rédaction de Prier, avec la collaboration de M. Siemek, Prier – Desclée de Brouwer, Paris, 2010, p. 414.

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