Eucharistie: 19 juin 2022
2ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C
« Ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10)
Première lecture
Pendant le quatrième siècle avant la naissance de Jésus, un prophète – dont nous ne connaissons pas le nom – a composé des textes qu’on a insérés dans la partie finale du livre de Zacharie (les chapitres 9-14).
Dans un de ces poèmes, le prophète annonce un fait tragique : les habitants de Jérusalem tuent une personne. Le prophète ne dit pas de qui il s’agit ; peut-être s’agit-il du roi Josias, un roi sage et fidèle qui a été à Meguiddo, à 39 ans[1] ? Quant au prophète que nous allons écouter, sans entrer dans les détails, il se limite à dire la brutalité du geste : « daqar » en hébreu, transpercer, transpercer avec une épée. En tout cas, la personne qui a été transpercée est en relation avec Dieu, au point que Dieu s’identifie à elle. Dieu dit : « moi, celui qu’ils ont transpercé » (v. 10). L’action, tragique en elle-même, de tuer quelqu’un, est – en même temps – un acte contre Dieu.
Devant cet acte dont parle le prophète, devant cet acte féroce qui s’est répété tellement de fois dans l’histoire, en tuant Jésus à Jérusalem et aussi chez nous et ailleurs en tuant des femmes et des hommes sans nombre, la réaction de Dieu dépasse toute imagination. Devant ces actes qui sont aussi une attaque contre lui, Dieu va répandre « un souffle de grâce et de supplication » (12,10), une prise de conscience du mal accompli et une réaction cohérente : un deuil, un deuil vrai et passionné, à mesure d’homme et de femme, un deuil qui suscite un changement.
La possibilité de changer son comportement et de réparer le mal fait est évoquée aussi à la fin de la page, là où le prophète parle d’une source : « En ce jour-là, une source jaillira pour les habitants de Jérusalem ». Et cette source permettra aux habitants de laver la souillure de la ville, la souillure qu’ils ont provoquée. Elle permettra de réparer – pour ce qui est possible – le mal accompli et de prendre ses distances, de s’éloigner des « errements » (13,1).
Lecture du livre du prophète Zacharie (12,10-11a. 13,1)
Ainsi parle le Seigneur :
1210 Et je répandrai sur la maison de David
et sur les habitants de Jérusalem
un souffle de grâce et de supplication.
Alors ils regarderont vers moi,
celui qu’ils ont transpercé.
Ils célébreront le deuil pour lui
comme le deuil pour le fils unique.
Ils pleureront amèrement sur lui,
aussi amèrement que sur le premier-né.
11a En ce jour-là, le deuil sera grand à Jérusalem,
131 En ce jour-là,
une source jaillira
pour la maison de David
et pour les habitants de Jérusalem,
pour [laver] les errements et la souillure.
Parole du Seigneur
Psaume
Le psaume 63 est une prière très personnelle. Elle peut être ma prière, ta prière, la prière de n’importe qui. Elle est la prière d’une personne en recherche, une recherche amoureuse : « je te cherche » (v. 2), j’ai soif de toi, je soupire vers toi, sans toi je suis une terre aride, sans eau ; j’aimerais te voir, me serrer à toi, me rassasier de ta présence ; même pendant la nuit je pense à toi[2].
Cette recherche, nous dit le titre du psaume (v. 1), est comparée à l’expérience de David : menacé par son fils Absalom (2 Sam 15,13-17,23), il a dû chercher refuge dans le désert[3].
De ce Psaume, nous lirons quatre strophes. La première et la deuxième sont le chant de la soif de Dieu. Le poète s’exprime à travers les images du désert et de l’eau : le désir, le regard, le regard vers une présence qui me dépasse, comme celle de Dieu dans le temple.
Dans la troisième strophe (vv. 5-6), le poète exprime son désir de louer Dieu, le louer parce que Dieu remplit entièrement sa vie. Pour évoquer cette expérience, le poète utilise l’image de la nourriture, une nourriture exceptionnelle pour l’époque et aussi – parfois – pour aujourd’hui : des viandes, de mets gras, la graisse qui en principe est réservée à Dieu, dans le culte au temple.
Enfin, dans la quatrième strophe (vv. 8-9), le poète évoque l’aide que Dieu lui a donnée. Après cette expérience, le poète ne peut que s’abandonner totalement à Dieu : « dans l’ombre de tes ailes je crierai de joie » (v. 8). Et cette phrase nous rappelle une phrase du Deutéronome, là où Dieu est présenté comme un aigle qui encourage ses petits et les protège en déployant ses ailes sur eux (Deut 32,11)[4]. Après cette image qui évoque l’action de Dieu, au v. 9 le poète avoue sa réaction très personnelle : « Je m’attache à toi de toute mon âme, de toute ma vie ». Et ici le verbe « s’attacher » évoque une relation intime et exclusive, comme celle d’un homme qui s’unit, littéralement qui s’attache, à sa femme (Gen 2,24)[5].
Quat à nous, ce matin, en écoutant les paroles du poète, nous voulons – nous aussi – exprimer notre désir de Dieu, en reprenant les paroles du verset 2. Notre refrain sera donc :
Mon âme, ma vie a soif de toi,
Seigneur, mon Dieu.
Psaume 63 (versets 2. 3-4. 5-6. 8-9)
2 Dieu, mon Dieu c’est toi ! A l’aube je te cherche ;
mon âme, ma vie a soif de toi ;
ma chair soupire vers toi,
dans une terre aride et épuisée, sans eau.
Refr. : Mon âme, ma vie a soif de toi,
Seigneur, mon Dieu.
3 Ainsi dans le sanctuaire je t’ai contemplé
pour voir ta force et ta présence glorieuse.
4 Oui, il est bon ton amour plus que la vie,
mes lèvres te célébreront.
Refr. : Mon âme, ma vie a soif de toi,
Seigneur, mon Dieu.
5 Ainsi, je te bénirai dans ma vie,
dans ton nom, je lèverai les paumes de mes mains.
6 Comme de mets gras et de graisse, mon âme, ma vie se rassasiera,
et, par des lèvres criant la joie, ma bouche te louera.
Refr. : Mon âme, ma vie a soif de toi,
Seigneur, mon Dieu.
8 Oui, tu as été une aide pour moi,
et dans l’ombre de tes ailes je crierai de joie.
9 Je m’attache à toi de toute mon âme, de toute ma vie
et ta main droite me soutient fermement.
Refr. : Mon âme, ma vie a soif de toi,
Seigneur, mon Dieu.
Deuxième lecture
La deuxième lecture est une page de la lettre aux Galates. Nous sommes au chapitre 3 de la lettre, là où Paul montre que la foi est le seul chemin qui nous ouvre à Dieu[6]. Pour cette affirmation, Paul (au verset 6) rappelle la Genèse (Gen 15,6), là où on lit : « Abraham a cru en Dieu, et – pour cela – Dieu l’a considéré comme un homme juste ». Par conséquent – Paul nous dit – « Les personnes qui vivent à partir de la foi, voilà les fils d’Abraham » (v. 7). Et, dans les versets suivants, Paul commente cette donnée fondamentale de la foi chrétienne. De cette page, nous allons lire les dernières phrases.
Ici, la référence fondamentale est à Jésus Christ : « tous – dans le Christ Jésus – vous êtes enfants de Dieu par la foi ». Paul rappelle aussi le baptême, un mot grec qui évoque une immersion totale : « vous tous qui avez été baptisés dans le Christ » (v. 27). Comme dans une immersion l’eau nous prend totalement, de même à travers le baptême, on est entouré, on est « revêtu » (v. 27), donc on est pris totalement par le Christ[7].
Les conséquences de cette immersion totale et de ce changement sont évidentes : à travers la foi, toutes les distinctions et les séparations au niveau des religions, des classes sociales et même de sexe tombent. Elles ne sont plus un obstacle pour l’unité des croyants, ni chez les Galates ni au Burundi : « vous tous, vous êtes un en Christ Jésus » (v. 28).
Et Paul termine sa page en faisant à nouveau référence à Abraham : même sans être Juifs, comme vous appartenez au Christ, « vous êtes donc la famille d’Abraham, vous êtes les destinataires de la promesse de Dieu ».
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates (3,26-29)
26 Frères, tous – dans le Christ Jésus – vous êtes enfants de Dieu par la foi. 27 Oui, vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu Christ. 28 Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car vous tous, vous êtes un en Christ Jésus. 29 Et si vous appartenez au Christ, vous êtes donc la famille d’Abraham, vous êtes les destinataires de la promesse de Dieu.
Parole du Seigneur.
Alléluia Alléluia.
Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ;
moi, je le connais et elles me suivent. (Jean 10,27).
Alléluia
Évangile
Après avoir raconté la distribution des pains à la foule dans un lieu désert (Lc 9,10-17), Luc nous parle de Jésus en prière. Ses disciples sont réunis avec lui, et il les interroge sur son identité. Parmi les foules, il y a ceux qui le considèrent comme Jean le Baptiste, ou comme Elie revenu sur terre, ou bien comme un des anciens prophètes ressuscité. Mais, lorsque Jésus demande aux disciples quelle est leur conception à eux, c’est Pierre qui prend la parole et le reconnaît comme « Le Christ de Dieu » (v. 20). Le mot « Christ » est grec, et signifie « Oint », on peu comme le terme hébreu « Messie ». Sur la bouche de Pierre, Jésus est donc l’Oint de Dieu, la personne qui a reçu l’onction pour porter aux hommes son message et son salut.
Mais, à l’époque, le mot Christ ou Messie pouvait suggérer l’idée d’un envoyé vainqueur, un chef politique qui a du succès. Cela explique la réaction de Jésus : « Et lui, avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne » (v. 21). L’affirmation de Pierre est insuffisante[8] : il vient de reconnaître Jésus comme Messie, mais il faut aussi comprendre de quel Messie s’agit-il. Et Jésus le fait en révélant le plan de Dieu, d’après lequel « Le Fils de l’homme doit souffrir beaucoup, et être rejeté, et être mis à mort et être ressuscité » (v. 22).
C’est un chemin difficile et surprenant, celui du Fils de l’homme. C’est son chemin à lui, mais c’est aussi le chemin qu’il propose « à tous » (v. 23). Chacun qui veut venir derrière Jésus, « qu’il renonce à lui-même, et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive ». Il faut d’abord prendre une distance par rapport à soi-même, il faut reconstruire sa propre identité dans une relation nouvelle, derrière Jésus. Jésus nous dit de le suivre, suivre Jésus « chaque jour », chacun et chacune de nous à sa façon. Et, jour après jour, on verra où ce chemin nous conduit. Mais nous pouvons le vivre en pleine confiance : même si on a l’impression de perdre notre vie à cause de Jésus, sur ce chemin nous pourrons la sauver : en effet, « qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera, lui ». Voilà ce que nous dit l’Évangile ce matin.
De l’Evangile de Luc (9,18-24)
18 Et il arriva, pendant que Jésus était à l’écart, en prière, et que les disciples étaient avec lui : il les interrogea en disant : « Les foules, qui disent-elles que je suis ? ». 19 En répondant, ils dirent : « Jean le Baptiste ; d’autres, Elie ; d’autres encore, un prophète parmi les anciens ressuscité ».
20 Il leur dit : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ». En répondant, Pierre dit : « Le Christ de Dieu ». 21 Et lui, avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne. 22 Il ajouta : « Le Fils de l’homme doit souffrir beaucoup, et être rejeté par les anciens et les grands prêtres et les scribes, et être mis à mort et être ressuscité le troisième jour ».
23 Et il dit à tous : « Si quelqu’un veut venir derrière moi, qu’il renonce à lui-même, et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. 24 En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera, lui ».
Acclamons la Parole de Dieu.
Prière d’ouverture : Mille amoureux te désirent
Nul mortel n’a pu Te voir,
mille amoureux Te désirent pourtant :
il n’est pas de rossignol qui ne sache
que dans le bouton dort la rose.
L’amour est là où la splendeur
vient de Ton visage : sur les murs du monastère
et sur le sol de la taverne,
la même flamme inextinguible.
Là où l’ascète enturbanné
célèbre Allah, nuit et jour,
où les cloches de l’église appellent à la prière,
où se trouve la croix du Christ[9].
[Hafez, poète, philosophe et mystique persan : XIV siècle]
Prière des fidèles
* Le livre de Zacharie parle d’un « souffle ». Il permet, à ceux qui ont fait des tueries, de prendre conscience de leurs crimes, de regarder d’un regard nouveau vers ceux et celles qu’ils ont tué(e)s, transpercé(e)s. Il permet de célébrer ensemble le deuil et le pardon pour trouver la force de changer, de reconstruire une communauté, sans violence, sans vengeance. Voilà ce que nous te demandons, Seigneur : donne-nous ce souffle nouveau.
* Le psaume nous a aidé(e)s, Seigneur Dieu, à te parler, à trouver les mots pour te dire notre désir de toi. Le psaume nous pousse aussi à nous attacher à toi de toute notre âme, de toute notre vie, au lieu de prendre l’épée pour réagir à la violence dont nous sommes, fréquemment, les victimes. Donne-nous la force pour marcher sur ce chemin de la non-violence chaque jour.
* Le psaume nous a parlé de notre relation avec toi comme d’une relation intime et exclusive : « Je m’attache à toi de toute mon âme, de toute ma vie », comme l’homme à sa femme, et deviennent, les deux, une seule chair. Soutiens-nous, Seigneur Dieu, dans cette relation d’amour et d’intimité à toi, au lieu de nous laisser séduire par la fascination du pouvoir, des richesses, de la renommée.
* La lettre de Paul nous a vraiment encouragé(e)s. Elle nous rappelle notre conditions : nous sommes « enfants de Dieu par la foi » ! Croire en Dieu ce n’est pas craindre Dieu ; c’est le reconnaître comme notre Père, comme notre papa, un papa qui nous aime sans mesure, un papa qui nous aime comme il aime Jésus, le Christ dans lequel nous sommes baptisé(e)s et immergé(e)s totalement. Que ton amour, Dieu notre Père, fasse jaillir en nous une réponse très généreuse.
* Ce matin, Jésus, tu nous demandes de « renoncer à nous-mêmes », c’est-à-dire d’abandonner nos préjugés et notre volonté de nous imposer sur les autres. Tu nous invites à découvrir, à côté de toi, une nouvelle identité, en suivant, jour après jour, ce que ton Évangile nous suggère.
[1] L. Alonso Schökel – J.L. Sicre Diaz, I profeti, Borla, Roma, 1989, p. 1372.
[2] Cette attitude mentionnée dans ce Psaume est celle d’une personne qui vit une « recherche amoureuse ». Ainsi C. M. Martini, Il desiderio di Dio. Pregare i salmi, Centro ambrosiano, Milano, 2012, p. 90.
[3] Cf. E. Zenger, Psalm 63, dans F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Psalmen 51-100, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2000, p. 195.
[4] Cf. E. Zenger, O. cit., p. 199.
[5] E. Zenger, I Salmi. Preghiera e poesia. Vol. 3. Il tuo volto io cerco, Paideia, Brescia, 2016, p. 37.
[6] G. Barbaglio, Le lettere di Paolo. Traduzione e commento, Vol 2, Borla, Roma, 1980, p. 92.
[7] Pour ce verbe qui, dans la Bible, évoque un changement radical, on peut lire 2 Chroniques 6,41, là où Salomon prie Dieu en lui demandant « que tes prêtres, Yahvéh Élohim, soient revêtus de salut ». D’autres données pour ce verbe dans F. Mussner, Der Galaterbrief, Herder, Freiburg . Basel . Wien, 1981, p. 263.
[8] Cf. N. Gatti dans E. Borghi, La gioia del perdono. Lettura esegetico-ermeneutica del Vangelo secondo Luca, Messaggero, Padova, 2012, p. 221ss.
[9] Les 100 plus belles prières du monde, choisies et présentées par Alfia Chafigoulina, Calmann-lévy, Paris, 2010, p. 207.