Eucharistie : 14 février 2021
6ème dimanche du Temps Ordinaire — Année B
Maladie et guérison, marginalisation et mort
Première lecture
Le troisième livre de l’Ancien Testament s’appelle « Lévitique » parce qu’il insiste sur le rôle que les lévites – donc la classe sacerdotale de la tribu de Lévi – avaient dans les célébrations religieuses et dans la gestion de la communauté. En effet, les lévites décidaient si une personne pouvait participer au culte ou bien si elle en était exclue pour les raisons les plus diverses.
Concrètement – et c’est le thème traité dans les chapitres 13 et 14 de ce livre – la santé d’une personne était un critère fondamental. C’est ainsi que tous les signes qui se manifestaient sur la peau d’une personne devaient être analysés par les prêtres. Parfois, ces modifications de la peau pouvaient être interprétées comme « une plaie »[1], comme un signe d’une maladie appelée « zara’at », un terme générique pour indiquer les différentes formes, plus ou moins graves, de « lèpre ».
Dans l’ancien Israël, c’est le prêtre qui doit décider si les changements de la peau sont les signes de cette maladie. Dans ce cas, l’homme est exclu du culte et de toute vie sociale. Il doit vivre totalement séparé des autres, « à l’extérieur du camp » (v. 46). Il est considéré impur et faible. On pense qu’il peut être victime des forces négatives. Il doit donc se défigurer au niveau du visage (v. 45), afin que les puissances négatives ne puissent pas le reconnaître. D’autre part, le fait de crier « Impur ! Impur ! » doit informer les autres personnes afin qu’elles évitent chaque contact avec lui[2].
Du livre du Lévitique (13,1-2. 45-46)
1 Et parle, Yhwh, à Moïse et à Aaron en disant :
2 « Un être humain, quand dans la peau de sa chair sera une tumeur, ou une inflammation ou une tache, et elle deviendra – dans la peau de sa chair – une plaie de lèpre : Alors, on le conduira à Aaron, le prêtre, ou à l’un des prêtres ses fils.
45 Et le lépreux, qui a en lui la plaie de la lèpre : ses vêtements seront déchirés, il ne devra pas se coiffer, il devra se couvrir le haut du visage jusqu’aux lèvres, il devra crier : “Impur ! Impur ! ”
46 Tous les jours où sa plaie est en lui impure, impur il sera ; il habitera à l’écart : à l’extérieur du camp sera son habitation ».
Psaume
Le psaume 32 est une prière – et en même temps une instruction[3] – dans laquelle un homme évoque son expérience. Il a vécu l’errement, la rébellion par rapport à Dieu ; ensuite il a avoué à Dieu sa faute et il vit la joie du pardon.
La structure du psaume[4] est simple : il est composé de trois parties.
La première (vv. 1-2) chante la joie du pardon et nous invite à l’accueillir : « Heureux et en marche » (vv. 1 et 2) vers le pardon. Et le pardon nous est présenté comme une intervention de Dieu : Dieu qui enlève la révolte, Dieu qui pardonne nos errements, Dieu qui décide de ne plus tenir compte de nos fautes. Grâce à cette intervention de Dieu, la personne pardonnée n’a plus de tromperie dans son esprit.
Le thème du pardon revient dans la deuxième partie du poème (vv. 3-7). Le poète évoque son passé. Il était enfermé en lui-même et dans son silence. Ses fautes le pressaient et le faisaient souffrir (vv. 3-4). C’est dans cette situation qu’il a décidé d’avouer à Dieu ses errements, sa faute, ses rébellions. Et, dans la strophe que nous allons lire, il raconte à Dieu ce qu’il a vécu : « Je t’ai fait connaître mes errements et je ne t’ai pas caché ma faute » (v. 5). Et la réaction de Dieu a été, pour le poète, une vraie libération : « tu as enlevé le poids de mes errements » (v. 5)[5].
Dans la troisième partie du psaume (vv. 8-10), le poète qui a été pardonné par Dieu, devient un sage, un umushingantahe, un maître qui raconte son expérience à d’autres personnes[6]. Désormais, celles et ceux qui se sont éloigné(e)s de Dieu peuvent faire une expérience comme celle du poète qui disait à Dieu : « Tu es un refuge pour moi ; tu me sauves loin de l’angoisse, de chants de délivrance, tu m’entoures » (v. 7ac). Et cette déclaration, nous allons la reprendre comme refrain à la fin de chaque strophe.
Mais, après cette troisième partie, la liturgie de ce matin nous rappelle le dernier verset du psaume, une invitation que le poète adresse à toute la communauté des justes, des gens au cœur droit. C’est un impératif à se réjouir, à se réjouir dans le Seigneur : « Réjouissez-vous en Yhwh, vous les justes, poussez des cris de joie, vous tous qui avez le cœur droit ! » (v. 11).
C’est donc avec une attitude joyeuse que nous pourrons intervenir, à la fin de chaque strophe, proclamant – en toute confiance – le refrain :
Tu es un refuge pour moi ;
de chants de délivrance, tu m’entoures.
Psaume 32 (versets 1-2. 5. 11)
1 De David. Instruction.
Heureux et en marche celui à qui Dieu a enlevé un péché de révolte
et pardonné ses errements.
2 Heureux et en marche l’être humain
à qui Yhwh ne compte pas sa faute
et dans l’esprit duquel il n’y a pas de tromperie.
Refr. : Tu es un refuge pour moi ;
de chants de délivrance, tu m’entoures.
5 Je t’ai fait connaître mes errements
et je ne t’ai pas caché ma faute.
J’ai dit : « Je ferai connaître à Yhwh mes révoltes »
et toi, tu as enlevé le poids de mes errements.
Pause de réflexion.
Refr. : Tu es un refuge pour moi ;
de chants de délivrance, tu m’entoures.
11 Réjouissez-vous en Yhwh
soyez dans l’allégresse, vous les justes,
poussez des cris de joie,
vous tous qui avez le cœur droit !
Refr. : Tu es un refuge pour moi ;
de chants de délivrance, tu m’entoures.
Deuxième lecture
Au chapitre 10 de la Première lettre aux Corinthiens, Paul évoque les cultes pratiqués par les païens. Les chrétiens ne participent pas, évidemment, à ces cultes. Et l’apôtre souligne – pour les chrétiens – l’impossibilité d’une autre communion que celle, exclusive, au repas du Seigneur. D’ici la question : la communion au repas du Seigneur implique donc un total repli de la communauté chrétienne sur elle-même, un renoncement à cultiver tout lien social ?[7] Pas du tout. Et c’est ce que Paul va expliquer dans la page de ce matin.
En revenant sur le culte, l’apôtre souligne d’abord qu’il n’est pas un ‘moment’ dans la vie chrétienne. En effet, toute la vie d’un chrétien, toute la vie d’une chrétienne est – et doit être – une glorification de Dieu : « quand vous mangez, quand vous buvez, ou quand vous faites autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu » (10,31).
D’autre part, le fait de rendre gloire à Dieu s’incarne dans une attention très intense pour l’édification des frères, les Juifs, les non-Juifs et toute la communauté de Dieu. C’est ce que Paul nous dit dans le deuxième impératif : « Ne faites tomber personne dans l’erreur[8] par votre façon d’agir : ni les Juifs, ni ceux qui ne sont pas Juifs, ni l’Église de Dieu » (v. 32).
Dans ce comportement, Paul peut se présenter comme un modèle à imiter : « Faites comme moi ! Je m’efforce de plaire à tous dans toutes mes actions » (v. 33). Et ici le verbe « plaire » est utilisé dans le sens de « vivre pour amour de quelqu’un »[9]. Et cet engagement de Paul, un peu comme dans la page lue il y a une semaine (1 Cor 9,22), est en vue du salut de tous : « Je ne cherche pas mon avantage, je cherche l’avantage de tous, pour qu’ils soient sauvés » (v. 33). Oui, Paul s’engage en imitant Jésus qui s’est engagé pour le salut de l’humanité. Et, après ces considérations, Paul ne peut que conclure sa page avec un autre impératif : « Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (11,1).
Lecture de la Première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (10,31-11,1)
Frères, 1031 quand vous mangez, quand vous buvez, ou quand vous faites autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. 32 Ne faites tomber personne dans l’erreur par votre façon d’agir : ni les Juifs, ni ceux qui ne sont pas Juifs, ni l’Église de Dieu. 33 Faites comme moi ! Je m’efforce de plaire à tous dans toutes mes actions. Je ne cherche pas mon avantage, je cherche l’avantage de tous, pour qu’ils soient sauvés. 111 Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ.
Évangile
Pendant les deux derniers dimanches, nous avons vu Jésus libérer un homme victime des forces du mal, guérir la belle-mère de Simon et d’autres malades et annoncer la Bonne Nouvelle. Et ce matin, Marc nous parle de Jésus qui guérit un lépreux.
Devant cet homme qui, par sa maladie, est contraint à la solitude la plus totale, Jésus est « pris aux entrailles » (v. 41). Les normes juives empêchent tout contact avec un lépreux, mais Jésus refuse ces normes : « étendant la main, Jésus le toucha » (v. 41). Et ce contact permet la guérison : « Et aussitôt la lèpre s’en alla de lui » (v. 42).
La guérison, si importante soit-elle, ne suffit pas. Dans la société de l’époque, le lépreux a besoin, pour rentrer dans la communauté, de la reconnaissance de la part des prêtres. C’est la raison pour laquelle Jésus, ordonne au lépreux : « va te montrer au prêtre » (v. 44).
Dans la narration, cet ordre est introduit avec les mots : « en lui parlant avec sévérité, (Jésus) le renvoya aussitôt » (v. 43). La phrase de Marc est très dure. Mais elle nous montre que Jésus ne veut pas d’une attache servile de l’ancien lépreux à son bienfaiteur. Jésus veut que l’homme guéri retrouve sa place dans le circuit des relations humaines[10].
Encore une remarque. L’homme, auquel Jésus dit de ne rien dire à personne (v. 44), désobéit : il ne peut pas se taire, il est trop heureux, il crie son bonheur. Et, si Jésus – comme Marc nous disait il y a une semaine – « proclame » (v. 39) le royaume, l’homme guéri commence à « proclamer beaucoup de choses et à divulguer la nouvelle » (v. 45).
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (1,40-45)
40 Et vient à lui un lépreux, le suppliant et tombant à genoux et lui disant : « Si tu le veux, tu peux me purifier ».
41 Et pris aux entrailles, étendant la main, Jésus le toucha et lui dit : « Je veux, sois purifié ». 42 Et aussitôt la lèpre s’en alla de lui et il fut purifié. 43 Et Jésus, en lui parlant avec sévérité, il le renvoya aussitôt, 44 et lui dit : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre et apporte pour ta purification ce qu’a prescrit Moïse : ils auront là un témoignage ».
45 Mais cet homme, sortant, commença à proclamer beaucoup de choses et à divulguer la nouvelle. A cause de cela Jésus, ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais il se tenait dehors, dans des lieux déserts. Et l’on venait à lui de toutes parts.
Acclamons la Parole de Dieu.
Prière d’ouverture
Seigneur Jésus,
toi dont les entrailles ont frémi
devant la détresse des malades,
donne-moi l’assurance
que tu es là, en moi,
hôte discret de mon corps souffrant.
Et quand la maladie m’accable trop,
quand elle fait monter en moi
un sentiment de gâchis,
donne-moi, par ton Esprit,
d’oser, comme toi, croire, espérer et aimer ![11].
[Xavier Thévenot, prêtre salésien, professeur de théologie morale à l’Institut catholique de Paris, :1938-2004]
Prière des fidèles
* Le Lévitique nous parle de la maladie et des barrières qui, fréquemment, séparent et isolent les malades. Même si le contact avec des malades peut contribuer à la diffusion d’une maladie, la société ne peut pas ne pas s’engager pour les malades. Que l’exemple donné par notre frère Jésus nous rende attentif(e)s et sensibles aux souffrances et aux nécessités des malades.
* Le poète du psaume nous invite à accueillir le pardon que Dieu nous donne : Dieu enlève nos révoltes, Dieu pardonne nos errements, Dieu décide de ne plus tenir compte de nos fautes. Devant ce message du psaume, nous ne pouvons que nous réjouir et te remercier de tout cœur, Seigneur. Et que ton pardon nous aide à changer notre comportement de jour en jour.
* Aux chrétiens de Corinthe et aussi à chacune et à chacun de nous, Paul se présente comme un modèle : « Faites comme moi ! Je m’efforce de plaire à tous dans toutes mes actions ». Et ici, le verbe grec souligne l’engagement de Paul, l’amour qui pousse Paul à se donner aux autres, à travailler – généreusement – pour les autres. Seigneur, donne-nous la force de nous engager, un peu comme l’apôtre, pour les autres.
* L’Évangile nous présente un lépreux, un homme qui, dans sa vie, a su découvrir l’action de Dieu. Dieu est celui qui, à travers Jésus, nous donne la force de sortir de notre isolement et nous permet de vivre une relation harmonieuse dans la communauté. Voilà la bonne nouvelle que nous pouvons vivre et communiquer aussi à nos frères. Jésus, accompagne-nous sur ce chemin.
[1] Le terme hébreu « nêga‘ », qui signifie « coup » ou « plaie », est le thème dominant : il revient 47 fois dans ce chapitre du Lévitique. Cf. T. Hieke, Levitikus 1-15, Herder, Freiburg . Basel . Wien, 2014, p. 473.
[2] T. Hieke, Levitikus 1-15, Herder, Freiburg . Basel . Wien, 2014, p. 488.
[3] L’idée d’instruction apparaît déjà dans les premiers mots du psaume, là où on lit : « De David. Instruction ». Cf. G. Ravasi, Il libro dei salmi. Commento e attualizzazione. Vol. I (Salmi 1-50), EDB, Bologna, 2015, p. 582, note 1.
[4] Cf. G. Ravasi, Il libro dei salmi. Commento e attualizzazione. Vol. I (Salmi 1-50), EDB, Bologna, 2015, p. 584s.
[5] La tournure « enlever le poids » est utilisée dans la Bible TOB. Plus littéralement, on pourrait traduire « enlever la culpabilité ». Cf. D. Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament. Tome 4. Psaumes, Academic Press – Vandenhoeck & Ruprecht, Fribourg – Göttingen, 2005, p. 188.
[6] G. Ravasi, Il libro dei salmi. Commento e attualizzazione. Vol. I (Salmi 1-50), EDB, Bologna, 2015, p. 591.
[7] Cf. D. Gerber, Première épître aux Corinthiens, dans Le Nouveau Testament commenté, sous la direction de C. Focant et D. Marguerat, Bayard – Labor et fides, Paris – Genève, 2012, p. 745.
[8] Pour l’expression «ne faire tomber dans l’erreur » cf. G. Stähling, « proskopto ktl. », dans Grande lessico del Nuovo Testamento, fondato da G. Kittel, continuato da G. Friedrich, Vol. XI, Paideia, Brescia, 1977, col. 366ss. Cette même tournure – très rare dans la Bible grecque – revient aussi dans les papyrus de l’époque ; cf. P. Arzt-Grabner / R. E. Kritzer / A. Papathomas / F. Winter, 1. Korinther, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2006 (Papyrologische Kommentare zum Neuen Testament, Band 2), p. 379.
[9] Ainsi W. Fohrer, dans Grande lessico del Nuovo Testamento, fondato da G. Kittel, continuato da G. Friedrich, Vol. I, Paideia, Brescia, 1965, col. 1214 sous la voix «arésko». Cf. aussi G. Barbaglio, La prima lettera ai Corinzi. Introduzione, versione e commento, EDB, Bologna, 1995, p. 503.
[10] C. Focant, L’évangile selon Marc, Cerf, Paris, 2004, p. 100.
[11] Le grand livre des prières. Textes choisis et présentés par C. Florence et la rédaction de Prier, avec la collaboration de M. Siemek, Prier – Desclée de Brouwer, Paris 2010, p. 174s.