Carême 2023 : cinquième semaine
« Ceux qui ont faim et soif de la justice »
Par Renzo Petraglio
Nous sommes à la cinquième semaine de Carême, la semaine pendant laquelle nos sœurs musulmanes et nos frères musulmans commencent le Ramadan. Et, pendant cette semaine, je vœux me pencher sur la quatrième Béatitude. Voici d’abord une traduction :
Heureux et en marche ceux qui ont faim et soif de la justice ; en effet, ils seront rassasiés (Matthieu 5,6)
Ici, nous devons nous arrêter – d’abord – sur le mot « justice ». Ce mot, qui apparaît ici pour la première fois dans le sermon de la montagne, reviendra – toujours dans ce discours – encore quatre fois. Et, à ces cinq textes, il faut ajouter, toujours chez Matthieu, deux passages : en 3,15 et 21,32.
Au moment de son baptême administré par le Baptiste, Jésus soulignait la nécessité – pour lui – d’accomplir « toute justice » (3,15), et ici l’expression évoque tout le projet de Dieu qui veut sauver l’humanité entière.
Et, au chapitre 21, Jésus évoque encore le Baptiste et, s’adressant aux grands prêtres et aux anciens du peuple, il dit : « En effet, Jean est venu vers vous dans un chemin de justice, et vous n’avez pas eu foi en lui, mais les collecteurs d’impôts et les prostituées ont eu foi en lui » (21,32). Quant au discours de la montagne (Mt 5-7), ici le mot « justice » est utilisé pour souligner la distance entre le comportement des pharisiens et des vrais croyants. En effet, Jésus déclare : « Je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (5,20). Et, dans la suite de son discours, Jésus évoque une justice extérieure, des actes accomplis uniquement pour avoir une bonne renommée. En effet, il nous met en garde : « Soyez attentifs à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être admirés par eux. Sinon vous n’avez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux » (6,1).
Mais, avant et après ces deux textes, le mot « justice » revient encore trois fois. D’abord, dans deux Béatitudes, celle qui nous prend aujourd’hui et celle qu’on lira au verset 10 : « Heureux et en marche les persécutés pour la justice », donc les personnes qui s’engagent pour la justice. Ces personnes sont les victimes de ceux qui refusent la loi de Dieu et refusent l’équilibre dans les relations interpersonnelles[1]. Et, plus en avant – toujours dans le même discours – Jésus revient sur le mot « justice », en évoquant la justice de Dieu. En effet, il nous exhorte : « Cherchez d’abord de Royaume de Dieu et la justice de lui, et toutes ces choses vous seront ajoutées » (6,33). Et ici, l’expression « toutes ces choses » évoque les préoccupations pour la vie (6,25ss), pour la nourriture, pour les vêtements, pour ce qui peut nous attendre demain. Pour celles et ceux qui cherchent la justice de Dieu, « toutes ces choses vous seront ajoutées ».
En terminant ce rapide regard sur l’Évangile selon Matthieu, on peur dire que la Béatitude pour « ceux qui ont faim et soif de la justice » c’est la Béatitude pour celles et ceux qui sont passionnés pour la justice et qui s’engagent pour collaborer au projet de Dieu, un projet juste, le projet de Dieu qui veut sauver l’humanité entière. Parmi ces personnes, il y a l’innocent qui revendique ses propres droits foulés aux pieds par les oppresseurs ; mais il y a aussi les personnes qui se mettent à côté des opprimés et qui s’engagent pour les droits des personnes traitées injustement[2].
En passant au Coran, je veux m’arrêter un moment sur la Sourate 55 qui s’ouvre avec ces mots :
1 Le Tout-Miséricordieux 2 a enseigné le Coran, 3 créé l’homme, 4 lui a appris à s’exprimer clairement. 5 Le soleil et la lune [gravitent] d’après un calcul. 6 Les herbes et les arbres se prosternent. 7 Le ciel, Dieu l’a élevé et il a institué l’équité 8 [en vous prescrivant] de ne point fausser la balance, 9 de peser en toute équité et de ne pas fausser la balance. 10 La terre, il l’a placée pour les créatures. 11 Il y a des fruits, des palmiers aux fruits recouverts d’enveloppes, 12 des grains dans leurs balles et des plantes aromatiques. 13 Lequel des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous ? (Sourate 55,1-13)[3].
La Sourate s’ouvre (vv. 1-2) en évoquant Dieu comme « miséricordieux » et, juste après, comme manifestation de la miséricorde divine, le Coran. Dans les versets suivants, notre page insiste sur Dieu, créateur du ciel et de la terre et aussi des humains. Mais toute la création de Dieu est sous le signe de la justice ou, plus concrètement, de la « balance » (« mîzân » en arabe)[4]. Et cette affirmation trouve une confirmation aussi dans la Sourate 57,25 où Dieu déclare : « Oui, Nous avons envoyé Nos envoyés avec les preuves, et fait descendre avec eux l’Écriture et la balance, pour que les humains mettent en œuvre l’équité »[5]. Dans le projet de Dieu, la justice est, avec l’Écriture, le point de référence fondamental. Dieu veut que tous les humains s’engagent dans cette direction. Et l’Évangile, dans le sermon des Béatitudes, souligne cette affirmation et nous met en marche. Nous devons engager toute notre vie dans cette direction, nous devons avoir « faim et soif de la justice ». Et sur ce chemin – un jour – nous serons « rassasiés » par Dieu lui-même. Et, en nous engageant sur ce chemin, nous serons ensemble. Amicalement
[1] Ainsi R. Manes, Vangelo secondo Matteo, dans I Vangeli, a cura di R. Virgili, Ancora, Milano, 2015, p. 106s.
[2] Ibid, p. 104s.
[3] Cette traduction reprend, avec de petites modifications, Si Hamza Boubakeur, Le Coran, Maisonneuve & Larose, Paris, 1995, cf. p. 1692.
[4] Ce mot revient aussi ailleurs dans le Coran. Cf. la voix « Balance » dans A. Godin et R. Foehrlé, Coran thématique. Classification thématique des versets du Saint Coran, Éditions Al Qalam, Paris, 2004, p. 347. Cf. aussi M. Chebel, Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard, Paris, 2009, p. 59s.
[5] Pour la proximité entre ces deux textes coraniques, cf. Ismaïl ibn Kathîr, L’exégèse du Coran en quatre volumes. Traduction : Harkat Abdou. Volume 4. Sourate 41 (Ils s’articulent) – Sourate 114 (Les Hommes), Dar al-Kotob al-Ilmiyah, Beyrouth, 2000, p. 1384.
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