Eucharistie : 24 septembre 2023
25ème dimanche du Temps Ordinaire — Année A
« Allez, vous aussi, dans ma vigne » (Mt 20,4.7)
Première lecture
Avec la première lecture, nous sommes au sixième siècle avant Jésus Christ. Une partie importante des habitants de Jérusalem est exilée à Babylone. Mais un prophète sans nom, dont les poèmes ont été insérés dans le livre d’Isaïe, ose annoncer la fin de l’exil. Ce sera le fruit de l’intervention de Dieu dans l’histoire humaine[1].
A cette manifestation de Dieu il faut se préparer en se mettant à la recherche de Yahvéh, le Seigneur (v. 6). Que l’homme méchant abandonne son chemin, qu’il retourne vers Yahvéh « qui lui manifestera ses tendresses » (v. 7). Elles sont comparables aux tendresses d’une maman – littéralement aux entrailles maternelles – une maman qui sait pardonner d’une façon généreuse. Mais le pardon de Dieu va même au-delà d’un pardon maternel. Derrière le verbe français « pardonner », en hébreu il y a « salah », un verbe qui, dans la Bible hébraïque, a seulement Dieu comme sujet[2]. Le pardon donné par Dieu est différent, infiniment plus généreux que le pardon donné par des humains.
Cette distance entre l’homme et Dieu est soulignée aussi dans la seconde partie (vv. 8-9) du poème. Les projets de Dieu et ses actions, ses « chemins », ne sont absolument pas comparables aux projets et aux actions des hommes. Comme « les cieux sont hauts, par rapport à la terre » (v. 9), ainsi sa perfection, sa puissance, sa sainteté, son amour pour l’humanité dépassent tout ce que nous pouvons imaginer. Et cette distance entre Dieu et nous est – surtout – au niveau de la miséricorde[3] : la capacité de Dieu de pardonner aux méchants est inimaginable et sans limites.
Lecture du livre du prophète Isaïe (55,6-9)
6 Recherchez Yahvéh car il se laisse trouver,
appelez-le, car il est proche.
7 Qu’abandonne, le méchant, son chemin,
et l’homme malfaisant, ses pensées.
Qu’il retourne vers Yahvéh,
qui lui manifestera ses tendresses,
vers notre Elohim,
qui pardonne généreusement.
8 Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
et vos chemins ne sont pas mes chemins,
– déclaration de Yahvéh.
9 C’est que les cieux sont hauts, par rapport à la terre :
aussi hauts, mes chemins, au-dessus de vos chemins,
et mes pensées, au-dessus de vos pensées.
Parole du Seigneur.
Psaume
Le psaume 145 est un des psaumes les plus récents de l’Ancien Testament[4] ; il a été composé probablement au quatrième siècle avant la naissance de Jésus.
Il s’agit d’un psaume alphabétique : le premier verset commence avec la première lettre de l’alphabet hébraïque, le deuxième avec la deuxième lettre, et ainsi jusqu’au dernier verset avec la dernière lettre. Le poète veut ainsi louer Dieu – c’est le but de ce psaume – à travers tout son alphabet.
De ce psaume, nous allons lire trois strophes.
Dans la première (vv. 2-3), le poète veut bénir Dieu, il veut le louer. Et cette décision naît d’un constat : le poète a constaté la grandeur de Yahvéh, une grandeur au-delà de toute mesure. Oui, « à sa grandeur, il n’y a pas de limite » (v. 3).
La deuxième strophe (vv. 8-9) revient sur la grandeur du Seigneur, mais en soulignant qu’elle se manifeste dans l’amour. En effet, Yahvéh est « grand dans l’amour » (v. 8). Son amour naît de ses « tendresses maternelles » ou – comme nous dit littéralement le poète – de ses « entrailles ». Et les tendresses maternelles de Dieu « sont pour toutes ses œuvres » (v. 9).
Enfin, dans la troisième strophe (vv. 17-18), le poète contemple les interventions de Dieu, littéralement « ses chemins », dans toute l’histoire du monde et de l’humanité : et il ne peut que constater la justice et la fidélité de Dieu dans tout ce que Dieu fait. Et la strophe se termine en soulignant la proximité de Dieu. Dieu n’est pas loin, Dieu n’est pas absent. Et ceux qui font appel à Dieu peuvent constater sa proximité : en effet « Proche est Yahvéh pour tous ceux qui l’appellent, pour tous ceux qui sont sincères en l’appelant » (v. 18).
Quant à nous, ce matin, nous voulons nous unir au poète dans son chant de remerciement. Et notre refrain, à la fin de chaque strophe, reprendra les mots de la troisième strophe. Je vous invite donc à intervenir avec le refrain :
Proche est le Seigneur
pour ceux qui l’invoquent.
Psaume 145 (vv. 2-3. 8-9. 17-18)
2 Tous les jours je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
3 Il est grand, Yahvéh, hautement loué ;
et à sa grandeur, il n’y a pas de limite.
Refr. : Proche est le Seigneur
pour ceux qui l’invoquent.
8 Il fait grâce, Yahvéh, et maternelle est sa tendresse,
il est lent à la colère et grand dans l’amour.
9 Bon est Yahvéh pour tous,
et ses tendresses maternelles sont pour toutes ses œuvres.
Refr. : Proche est le Seigneur
pour ceux qui l’invoquent.
17 Juste est Yahvéh dans tous ses chemins,
et fidèle dans toutes ses œuvres.
18 Proche est Yahvéh pour tous ceux qui l’appellent,
pour tous ceux qui sont sincères en l’appelant.
Refr. : Proche est le Seigneur
pour ceux qui l’invoquent.
Deuxième lecture
Ce matin, nous allons lire une première page de la lettre aux Philippiens, une lettre qui va nous accompagner et nous encourager pendant quatre dimanches.
La ville de Philippes doit son nom à Philippe II, le père d’Alexandre le Grand. Elle faisait partie de la province romaine de Macédoine. En effet, elle était devenue colonie romaine depuis l’an 31 avant la naissance de Jésus. Sa population était, en majorité, latine ; la minorité juive ne disposait pas d’une synagogue et se réunissait – comme on le sait grâce aux Actes des apôtres (16,13) – en dehors de la ville, sur les bords d’une rivière[5].
Vers l’année 50, Paul arrive dans cette ville, accompagné de Silas et Timothée et, peut-être, aussi de Luc[6]. A Philippes, l’apôtre prêche la Bonne Nouvelle et il fonde sa première communauté chrétienne d’Europe[7]. Plusieurs personnes forment cette communauté dans laquelle les femmes jouent un rôle important. En particulier, Lydie, une négociante en pourpre, offre à Paul et à ses collaborateurs sa maison comme résidence (Ac 16,15).
La mission de Paul à Philippes est interrompue brusquement (Ac 16,16-40). En effet, Paul et Silas sont dénoncés, auprès des autorités locales, comme des propagandistes qui annoncent des coutumes contraires à la législation romaine. C’est ainsi que les missionnaires doivent endurer des souffrances et des insultes ; on ordonne de les battre et de les mettre en prison. Pendant la nuit, la prison est secouée par un tremblement de terre ; Paul sauve le gardien de la prison qui voulait se suicider. Le lendemain, lorsque Paul déclare d’être un citoyen romain, les autorités s’excusent mais invitent Paul et Silas à quitter la ville. En tout cas, avec la communauté chrétienne de Philippes, Paul conserve des relations intenses, comme nous est témoigné par la lettre aux Philippiens.
Cette lettre, Paul la compose lorsqu’il est en prison[8]. Là où Paul est emprisonné – probablement dans la ville d’Éphèse – il y a des membres de la garde du gouverneur romain (Phil 1,13), mais il y a aussi des chrétiens qui sont au service de l’empereur (Phil 4,22) [9], des chrétiens qui ont de bonnes relations avec Paul. Pour ce qui en est de Paul, il ne sait pas quelle sera la décision que les juges prendront : vont-ils décider sa libération ou bien sa mort ? Et la page de ce matin nous dit comment Paul vit cette situation : « la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps, soit par ma vie, soit par ma mort[10] » (v. 20c). En vivant ou en mourant, en Paul resplendit toujours la grandeur de son Seigneur, le Seigneur qui triomphe soit que les juges décident la mise à mort de Paul, soit sa libération[11]. Voilà pourquoi Paul peut affirmer : « vivre c’est le Christ » (v. 21) et mourir c’est « être avec le Christ » (v. 23).
En tout cas, et ce sera le dernier verset que nous allons lire ce matin, Paul profite de sa lettre pour adresser aux Philippiens une exhortation à vivre – dans la société – « une vie digne de l’Évangile du Christ » (v. 27a).
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens (1,20c-24 et 27a)
Mes frères et sœurs, 20c la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps, soit par ma vie, soit par ma mort. 21 En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et la mort est un gain ! 22 Mais si, en vivant dans la chair, je peux faire un travail utile, je ne sais pas quoi choisir. 23 Je me sens pris par deux désirs contraires : j’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur ; 24 mais, à cause de vous, il est plus nécessaire que je demeure en ce monde.
27a Quant à vous, menez – dans la société – une vie digne de l’Évangile du Christ.
Parole du Seigneur.
Alléluia. Alléluia.
La bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres :
tous acclameront sa justice. (cf. Ps 145,9.7b)
Alléluia.
Évangile
Dans l’Évangile de ce matin, Jésus nous raconte une histoire : l’histoire de la vigne et des ouvriers qui sont invités aller y travailler. La vigne est, évidemment, une image du peuple, le peuple qui doit porter des fruits pour le Royaume. Et ces fruits sont l’amour de Dieu, l’amour du prochain[12], la paix. Voilà le projet de Dieu.
En vue de ce projet, Dieu adresse à tout le monde, dans des temps et des moments différents, son invitation. Tous sont convoqués : d’abord les juifs, avec un contrat régulier : l’alliance. Mais aussi d’autres sont convoqués, tous ceux qui, dans un premier temps, semblaient apparemment oubliés, ceux qui disent : « personne ne nous a engagés » (v. 7)[13]. Et ce comportement du « propriétaire » correspond au comportement de Jésus qui traite avec la même bonté les juifs et les païens, les justes et les pécheurs. La bonté de Jésus correspond à la bonté du « propriétaire » qui demande à un des premiers ouvriers : « vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ? » (v. 15).
Cette interrogation nous permet de comprendre que chaque intervention de Dieu envers les ouvriers, les derniers comme les premiers, est un signe de sa bonté, une manifestation de son amour. Même l’ouvrier de la première heure doit se rendre compte de sa dépendance d’un maître qui est bon. Se rendre compte de cette dépendance et s’en réjouir. Nous avons un maître qui est bon : voilà notre relation avec Dieu, voilà notre joie.
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (20,1-16)
Jésus disait cette parabole à ses disciples :
« 201 Le Royaume des cieux est comparable à un propriétaire qui sort, le matin, de bonne heure. Il veut engager des ouvriers pour sa vigne. 2 Il décide avec les ouvriers de leur donner un denier – c’est-à-dire une pièce d’argent – pour la journée, et il les envoie dans sa vigne. 3 À neuf heures du matin, il sort de nouveau. Il voit d’autres personnes qui sont là sur la place, sans travail, 4 et à ces personnes il dit : “Allez, vous aussi, dans (ma) vigne, et je vous donnerai ce qui est juste”. 5 Les ouvriers vont à la vigne. Quant au propriétaire, il sort encore à midi et à trois heures de l’après-midi, et il fait la même chose. 6 Enfin, vers cinq heures de l’après-midi, il sort. Il trouve d’autres personnes qui sont là et il leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail ?” 7 Ils lui disent : “Parce que personne ne nous a engagés”. Il leur dit : “Allez, vous aussi, dans (ma) vigne”.
8 Quand le soir arrive, le propriétaire de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et donne à chacun son salaire. Tu commenceras par les derniers engagés et tu termineras par les premiers engagés”. 9 Ceux qui ont travaillé à partir de cinq heures de l’après-midi arrivent, et ils reçoivent chacun une pièce d’argent. 10 Ceux qui ont travaillé les premiers arrivent à leur tour et ils pensent : “Nous allons recevoir davantage”. Mais eux aussi reçoivent chacun une pièce d’argent. 11 En la recevant, ils critiquent le propriétaire. 12 Ils disent : “Ces derniers venus ont fait seulement une heure de travail, et tu les as payés comme nous ! Pourtant nous avons supporté la fatigue toute la journée, et nous avons travaillé sous un soleil brûlant !”
13 Le propriétaire répond à l’un d’eux. Il lui dit : “Mon ami, je ne suis pas injuste avec toi. N’étais-tu pas d’accord avec moi pour une pièce d’argent ? 14 Prends ton salaire et va-t’en. A cet ouvrier engagé en dernier je veux donner autant qu’à toi. 15 N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon argent ? Ou bien vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ? 16 C’est ainsi que les derniers seront premiers et les premiers derniers” ».
Acclamons la Parole de Dieu.
Prière d’ouverture
Je t’oublie, mais toi, tu ne m’abandonnes pas.
Comme un père plein de tendresse,
un Dieu aux entrailles « frémissantes »
qui se laisse bouleverser par l’infidélité de ses enfants,
tu me redis, chaque jour, que tu m’aimes.
Et tu m’appelles sans cesse, par-delà mes errances,
à entrer dans le pardon promis.
Tu es là, Seigneur, et me voici[14].
[Christine Florence, journaliste]
Prière des fidèles
* La première lecture nous a parlé de ta miséricorde, Seigneur, de la générosité de tes tendresses maternelles. C’est une générosité qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Permets donc à chacune et à chacun de nous de nous réjouir de ta tendresse et de l’exercer, nous aussi un peu comme toi, envers nos sœurs et nos frères, de jour en jour.
* Le poète du psaume, lui aussi, nous a rappelé ta grandeur, Seigneur, ta grandeur qui dépasse toute mesure. En effet, le poète nous assure : Dieu est « grand dans l’amour » et « ses tendresses maternelles sont pour toutes ses œuvres ». Que tes tendresses maternelles, que tes entrailles dans lesquelles nous sommes né(e)s, puissent – Seigneur – nous guider dans nos relations avec les autres.
* En écrivant aux chrétiens de Philippes, Paul jette un regard sur sa vie : Paul avoue : « pour moi, vivre c’est le Christ » et mourir c’est « être avec le Christ ». Dans toute sa vie, et aussi dans sa mort, sa relation intime avec le Christ prend entièrement l’apôtre. Que ce comportement, que cette façon de vivre et de mourir puisse devenir notre façon de vivre et de mourir. Voilà ce que nous – qui sommes tes sœurs et tes frères – nous te demandons, Jésus notre amour.
* L’Évangile nous demande de ne pas juger le travail des autres : s’ils commencent tôt le matin, ou plus tard, ou seulement pendant l’après-midi. Nous devons seulement nous réjouir de pouvoir travailler avec les autres, chacun à sa manière et selon ses rythmes. En effet, le Royaume est un projet de Dieu, un projet d’amour et de partage, et nous sommes invité(e)s à y participer avec joie et sans aucune limitation. Soutiens-nous, Seigneur, sur ce chemin.
[1] Cf. P.-E. Bonnard, Le second Isaïe, son disciple et leurs éditeurs. Isaïe 40-66, Gabalda, Paris, 1972, p. 306.
[2] Cf. L. Koehler – W. Baumgartner, Lexicon in Veteris Testamenti libros, Brill, Leiden, 1958, p. 659, sous la voix « salah ».
[3] Cf. A. Mello, Isaia. Introduzione, traduzione e commento, San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2012, p. 377. Cf. aussi. G. Ravasi – D. M. Turoldo, « Nella tua luce vediamo la luce ». Tempo ordinario, solennità del Signore, feste dei Santi. Commento alle letture liturgiche, San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2004, p. 162.
[4] Cf. E. Zenger, I Salmi. Preghiera e poesia. Vol. 3. Il tuo volto io cerco, Paideia, Brescia, 2016, p. 147.
[5] Ainsi O. Odelain et R. Séguineau, Dictionnaire des noms propres de la Bible, Cerf, Paris, 2002, p.297s, sous la voix « Philippes ».
[6] Cf. C. M. Martini, Atti degli Apostoli. Versione, introduzione e note, San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2019, p. 221s.
[7] Cf. R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Bayard, Paris, 2000, p. 530.
[8] Cf. Brown, ibid, p. 539s.
[9] F. Bianchini, Lettera ai Filippesi. Introduzione, traduzione e commento, Edizioni San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2010, p. 100.
[10] Dans le texte grec, le possessif « ma » référé à « vie » et « mort » manque. Mais, dans ce contexte, avec le mot « vie » Paul fait référence à la vie ici-bas, si son procès aura une sortie heureuse, tandis que, avec le mot « mort », Paul évoque l’autre issue possible du procès, sa condamnation à mort. Cf. U. B. Müller, Der Brief des Paulus an die Philipper (Theologischer Handkommentar zum Neuen Testament, 11/1), Evangelische Verlagsanstalt, Leipzig, 2000, p. 60.
[11] Ainsi G. Barbaglio, Le lettere di Paolo. Traduzione e commento. Volume 2, Borla, Roma, 1980, p. 557.
[12] Cf. S. Fausti, Una comunità legge il vangelo di Matteo, EBD, Bologna, 2007, p. 388.
[13] Cf. O. Da Spinetoli, Matteo. Il vangelo della chiesa, Cittadella editrice, Assisi, 1983, p. 543.
[14] Le grand livre des prières. Textes choisis et présentés par C. Florence et la rédaction de Prier, avec la collaboration de M. Siemek, Prier – Desclée de Brouwer, Paris 2010, p. 52.