Eucharistie : 9 février 2025
5ème dimanche du Temps Ordinaire — Année C
Dieu nous rejoint… à travers des personnes faibles
Première lecture
Le livre d’Isaïe contient une page autobiographique : le récit de sa vocation prophétique. C’est l’année 734[1] avant Jésus Christ. C’est « l’année de la mort du roi Ozias » (v. 1). A l’époque d’Isaïe, tous savaient qu’Ozias avait été roi de Jérusalem. Mais, avec le mot « roi », Isaïe veut souligner un contraste : d’un côté le roi mort, de l’autre « le roi Yahvéh Zebaot, le tout-puissant » (v. 5).
Dans l’année de la mort du roi, Isaïe ‘voit’ le Seigneur (v. 1). Mais la suite de la phrase nous dit que le prophète ne voit que son trône et la limite inférieure de son manteau : « le bas de son vêtement remplissait le temple ». Et le temple est rempli de fumée (v. 4). En effet, Dieu ne peut pas être enfermé dans une structure humaine, on ne peut pas le voir, et sa présence échappe à toute mesure, à toute limite.
Même les séraphins, les êtres les plus terribles qu’on imaginait comme des serpents volants dans le désert[2], même les séraphins devaient se cacher devant Dieu et le reconnaître comme « qadosh », la parole hébraïque pour dire ‘saint’, ‘totalement différent’, ‘inimaginable’.
Par rapport à ce Dieu saint et inimaginable, Isaïe constate toute sa distance : « Hélas pour moi ! Je suis réduit au silence, car je suis un homme aux lèvres impures, et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures » (v. 5).
Il y a ensuite un geste de purification qui nous échappe entièrement, une purification avec de la braise « prise de sur l’autel ». Et, après ce geste, Dieu, le Dieu tout-puissant et trois fois saint, … décide d’envoyer quelqu’un au peuple.
Et Isaïe, dans sa générosité, répond immédiatement : « Me voici ! Envoie-moi ! » (v. 8).
Du livre d’Isaïe (6,1-8)
1 Dans l’année de la mort du roi Ozias.
Et je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé,
et le bas de son vêtement remplissait le temple.
2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui :
six ailes, six ailes pour chacun :
avec deux chacun se couvrait le visage,
et avec deux il couvrait ses pieds
et avec deux il volait.
3 Et il proclamait, l’un vers l’autre, et disait :
« Saint, saint, saint, Yahvéh Zebaot, le tout-puissant ;
sa gloire remplit toute la terre ».
4 Et tremblaient, les pivots des portes,
à cause de la voix qui proclamait,
et le temple était rempli de fumée.
5 Et je dis : « Hélas pour moi ! Je suis réduit au silence,
car je suis un homme aux lèvres impures,
et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures
et mes yeux ont vu le roi Yahvéh Zebaot, le tout-puissant ».
6 Et vola vers moi, un des séraphins,
et dans sa main il tenait une braise :
avec des pinces il l’avait prise de sur l’autel.
7 Et il fit toucher la braise sur ma bouche et il dit :
« Voici : celle-ci a touché tes lèvres :
ta faute est écartée et ton péché a été pardonné ».
8 Et j’entendis la voix du Seigneur qui disait :
« Qui enverrai-je et qui ira pour nous ? »
Et je dis : « Me voici ! Envoie-moi ! »
Parole du Seigneur.
Psaume
Le psaume 138 est une invitation à louer Dieu et à avoir confiance en lui[3].
De ce psaume, nous allons lire quatre strophes. Dans la première (vv. 1-2a), le poète exprime sa décision : la décision de louer Dieu. Le poète dit : « Je te rendrai grâce de tout mon cœur » (v. 1). En présentant à Dieu son remerciement, le poète évoque sa situation : il est dans un milieu païen, où se trouvent de nombreuses statues des dieux, des « élohim » dit le texte hébreu[4]. Mais notre poète, dans sa prière, s’oriente vers Jérusalem et surtout vers le temple saint de Dieu. Mais pourquoi prier Dieu ? Dans la première strophe, le poète ne le dit pas. Mais le traducteur grec justifie pourquoi rendre grâce à Dieu : « Je te rendrai grâce » – ajoute le traducteur – « car tu as entendu les paroles de ma bouche ».
Dans le texte original en hébreu, la motivation pour rendre grâce à Dieu est exprimée dans la deuxième strophe : « Je rendrai grâce à ton nom pour ton amour et pour ta fidélité ». Et cet amour et cette fidélité, Dieu les concrétise à travers ses paroles, sa promesse qui se réalise toujours. Oui, dit notre poète, « ta promesse a surpassé ta renommée »[5]. Toujours dans la même strophe, le poète raconte comment Dieu lui a manifesté son amour et sa fidélité en intervenant personnellement dans sa vie. Il s’agit d’une intervention surprenante, une irruption[6] grâce à laquelle Dieu a « stimulé », littéralement a « agité » en son âme, une force (v. 3).
Dans la troisième strophe (vv. 4-5), nous avons le vœu du poète : le remerciement qu’il a adressé à Dieu puisse devenir le remerciement que « tous les rois de la terre » adressent à Dieu. En effet, avec son remerciement à Dieu, le poète devient un témoin missionnaire du don reçu de Dieu, un témoin devant les rois de la terre[7]. Et c’est ainsi que ces rois ne suivent plus d’autres divinités. Désormais, ils s’ouvrent à Dieu et découvrent Dieu comme celui qui prend soin des pauvres, des marginalisés. C’est ce que le poète dira dans le v. 6 qu’on ne lira pas ce matin.
Enfin, dans la quatrième strophe (vv. 7c-8), le poète parle à nouveau de soi-même et il exprime à Dieu sa pleine confiance. Même s’il est dans une situation de détresse, même si les ennemis en colère le menacent, Dieu le fera vivre et le sauvera. Mais l’amour de Dieu n’est pas seulement pour le poète qui vit une situation difficile. Dieu est le Dieu de toute la création, et pour la création tout entière le poète prie Dieu et il lui dit : « N’abandonne pas ceux que tu as créés de tes propres mains ! ».
Quant à nous, en revenant sur les mots du psaume qui insiste sur l’amour de Dieu et sur l’action de rendre grâce à Dieu, nous pouvons intervenir avec ce refrain :
Nous te rendons grâce, Seigneur, pour ton amour.
Psaume 138 (versets 1-2a, 2bc-3, 4-5, 7c-8)
1 Je te rendrai grâce de tout mon cœur,
car tu as entendu les paroles de ma bouche.
Devant les élohim je te chanterai,
2a je me prosternerai vers ton temple saint.
Refr.: Nous te rendons grâce, Seigneur, pour ton amour.
2bc Je rendrai grâce à ton nom pour ton amour et pour ta fidélité,
car ta promesse a surpassé ta renommée.
3 Le jour où je t’ai appelé, tu m’as répondu,
tu as stimulé, en mon âme, une force.
Refr.: Nous te rendons grâce, Seigneur, pour ton amour.
4 Que te rendent grâce, Yahvéh, tous les rois de la terre
car ils ont écouté les promesses de ta bouche.
5 Et qu’ils chantent les chemins de Yahvéh,
car grande est la gloire de Yahvéh.
Refr.: Nous te rendons grâce, Seigneur, pour ton amour.
7c Tu enverras ta main, et ta main droite me sauvera.
8 Yahvéh portera à terme son dessin en ma faveur,
Yahvéh, ton amour est pour toujours !
N’abandonne pas ceux que tu as créés de tes propres mains !
Refr.: Nous te rendons grâce, Seigneur, pour ton amour.
Deuxième lecture
Pendant l’été de l’année 52, Paul part de Corinthe pour porter aussi à d’autres villes le message de Jésus. Mais, à travers des échanges épistolaires, il reste toujours en contact avec cette communauté qu’il avait fondée et avec laquelle il avait vécu pendant dix-huit mois.
Une de ces lettres ne nous a pas été conservée[8]. Mais dans la lettre successive, celle qu’on appelle « la Première aux Corinthiens », Paul retrace les éléments fondamentaux de la foi chrétienne : ce que lui-même avait reçu et qu’il avait ensuite annoncé à la communauté : la mort, la sépulture, la résurrection et les apparitions de Jésus.
En rappelant ces quatre ‘piliers’ de la foi, Paul évoque aussi sa fonction d’apôtre : il était un persécuteur de la première communauté chrétienne de Jérusalem ; mais Dieu a fait de lui un grand travailleur pour proclamer ce que la communauté de Corinthe – et aussi la nôtre – croit. Écoutons.
Lecture de la Première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (15,1-11)
1 Je vous rappelle, frères, l’Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, 2 et par lequel aussi vous êtes sauvés, si vous le retenez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, vous auriez cru en vain.
3 En effet, je vous ai transmis, avant tout, ce que j’avais aussi reçu : Christ est mort pour nos errements, selon les Écritures; 4 et il a été enseveli, et il a été ressuscité, pour toujours, le troisième jour, selon les Écritures, 5 et il a été vu par Céphas, puis par les Douze. 6 Ensuite, il a été vu par plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. 7 Ensuite, il a été vu par Jacques, puis par tous les apôtres.
8 Après eux tous, il s’est fait voir à moi comme à l’avorton ; 9 car je suis, moi, le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu. 10 Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine. Au contraire, j’ai travaillé plus qu’eux tous : non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. 11 Bref, que ce soit moi, que ce soit eux, voilà ce que nous proclamons et voilà ce que vous avez cru.
Parole du Seigneur.
Alléluia. Alléluia.
« Venez à ma suite, dit le Seigneur,
et je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Matthieu 4,19).
Alléluia.
Évangile
L’Évangile de ce matin est très encourageant. En nous présentant Jésus qui annonce la parole de Dieu, Luc souligne comment la foule est attentive et « se serrait contre lui » (v. 1). Et, un peu plus en avant, le narrateur parle aussi des « foules » au pluriel.
Après l’insistance sur l’enseignement, Luc s’arrête sur la pêche. Simon, qui a fatigué toute la nuit sans rien prendre, se dit quand même disponible : « sur ta parole, je vais jeter les filets » (v. 5). Et le résultat de cette pêche, accomplie sur la parole de Jésus, est énorme : Simon et ses compagnons « remplirent les deux barques au point qu’elles enfonçaient » (v. 7).
Enfin, la partie finale du récit nous met devant les yeux un bref dialogue entre Simon et Jésus. Devant le résultat surprenant de la pêche, la réaction de Simon est immédiate : une action et une parole : il « tomba aux genoux de Jésus en disant : “Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme qui a fait faillite” » (v. 8). Simon voit en Jésus une manifestation divine : auparavant il s’était adressé à Jésus en lui disant « Maître » (v. 5). Mais, maintenant, il tombe à genoux et l’appelle « Seigneur », « Kyrios » en grec, et « Kyrios » est le terme que les Grecs utilisaient pour traduire le ‘nom propre’ de Dieu, « Yahvéh » en hébreu. En plus, Simon reconnaît sa distance par rapport à Jésus Seigneur ; il ne peut donc qu’avouer : « je suis un homme qui a fait faillite ! ».
Et pourtant, malgré la distance entre le monde divin et la faiblesse d’un homme, Jésus confie à Simon une mission : jusqu’à maintenant tu as pris des poissons, « désormais ce sont des humains que tu auras à prendre » (v. 10). En grec, il y a une certaine proximité entre prendre les poissons (v. 6) et prendre les humains (v. 10). Mais, lorsqu’il s’agit des humains, le verbe grecque est lié au terme « zên », c’est-à-dire « vivre »[9]. Simon, et les autres avec lui, devront s’engager pour aider les humains à vivre, à vivre en plénitude.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (5,1-11)
1 Et il advint lorsque la foule se serrait contre lui et écoutait la parole de Dieu : lui-même se tenait au bord du lac de Gennésareth. 2 Et il vit deux barques qui se tenaient au bord du lac ; les pêcheurs qui en étaient descendus lavaient leurs filets. 3 Montant dans l’une des barques, qui appartenait à Simon, il demanda à celui-ci de quitter la terre et d’avancer un peu ; puis s’étant assis, de la barque il enseignait les foules.
4 Comme il cessa de parler, il dit à Simon : « Avance là où l’eau est profonde, et jetez vos filets pour attraper quelque chose ». 5 Et répondant, Simon dit : «Maître, en fatiguant toute la nuit, nous n’avons rien pris ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets ». 6 Et ayant fait cela, ils capturèrent une grande quantité de poissons et leurs filets risquaient de se déchirer. 7 Et ils firent signe aux camarades de l’autre barque de venir les aider ; et ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques au point qu’elles enfonçaient.
8 Quand il vit cela, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme qui a fait faillite ! ». 9 En effet, l’effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pris ensemble ; 10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon.
Et Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des humains que tu auras à prendre et à convaincre vivants ». 11 Et après avoir ramené les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.
Acclamons la Parole de Dieu.
Prière d’ouverture
S’interroger, chercher un sens à sa vie.
Se mettre en marche,
avancer, s’ouvrir, découvrir,
cheminer vers l’Essentiel.
Se laisser inviter,
se laisser guider,
se laisser gouverner,
s’abandonner en toute confiance.
Dépasser ses propres limites,
s’élever,
toujours s’élever.
Avec une infinie Confiance,
tendre sans cesse vers Toi, Seigneur[10].
[Florence Viellard, maman et comédienne, France : 2012]
Prière des fidèles
* La page d’Isaïe nous montre une personne fragile comme nous mais, en même temps, capable d’une grande générosité. Seigneur, tu cherchais un volontaire pour accomplir une mission auprès du peuple, et Isaïe a répondu sur le champ. Donne aussi à nous cette disponibilité à répondre d’une façon généreuse à ce que tu nous proposes jour après jour.
* Le Psaume 138 nous invite à la confiance. Tu es celui qui a soutenu le poète qui a composé ce psaume. Il se trouvait dans une situation pénible et sans espoir. Il t’a appelé, Seigneur Dieu, et tu lui as répondu. Tu as fait irruption dans sa vie, tu as stimulé – en son âme – une force. Eh bien : que son expérience puisse se renouveler, de jour en jour, dans la vie de chacune et de chacun de nous.
* Paul était un homme violent, un persécuteur. Mais Dieu en a fait un apôtre de Celui qui a donné sa vie pour les hommes. Nous aussi qui, le dimanche, célébrons ta résurrection, nous devons changer. Nous devons annoncer, à travers nos actions, comment une vraie relation avec Jésus, crucifié et ressuscité, change notre vie. Aide-nous, Seigneur, dans ce changement.
* Dans l’Évangile, Jésus demande à Simon d’abord de jeter les filets pour prendre des poissons, ensuite de s’engager pour convaincre des humains vivants. Jésus ne veut pas des personnes esclaves, prisonnières, enchainées comme des poissons dans des filets ; Jésus veut des personnes libres, vivantes, des personnes qui, grâce à l’Évangile, réalisent pleinement leur vie. Aide-nous, Jésus notre frère, sur ce chemin.
[1] Cf. W. A. M. Beuken, Jesaja 1-12, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2003, p. 167.
[2] Ces “serpents brûlants” sont mentionnés en Nombres 21,6. Cf. A. Mello, Isaia. Introduzione, traduzione e commento, San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2012, p. 78.
[3] Cf. F.-L. Hossfeld, Psalm 138, dans F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Psalmen 101-150, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2008, p. 706ss.
[4] Pour l’interprétation de cette expression, cf. G. Ravasi, Il libro dei salmi. Commento e attualizzazione. Vol. III (Salmi 101-150), EDB, Bologna, 2015, p. 779s.
[5] Pour cette expression et pour les difficultés d’interprétation du texte hébreux, cf. D. Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament. Tome 4. Psaumes, Academic Press – Vandenhoeck & Ruprecht, Fribourg – Göttingen, 2005, p. 829-833.
[6] Le verbe utilisé en hébreu suggère l’image de Dieu qui entre dans la vie d’une personne avec une irruption tempétueuse, une irruption qui rend courageux et plein d’énergie le croyant. Cf. G. Ravasi, Op. cit., p. 781. Cf. aussi L. Alonso Schökel – C. Carniti, I salmi, Borla, Roma, 1993, vol. II, p. 771. Déjà G. Castellino, Libro dei salmi, Marietti, Torino, 1955, p. 435 soulignait la force de l’expression hébraïque dans le Psaume 138,3b.
[7] Cf. G. Ravasi, Op. cit., p. 774slaquelle il avait vécu pendants.
[8] Paul le mentionne dans 1 Cor 5,9.
[9] Cf. H. Schürmann, Il vangelo di Luca. Parte prima, Paideia, Brescia, 1983, p. 461s.
[10] F. Viellard, Prières pour grandir dans la joie de Dieu, Salvator, Paris, 2012, p. 85.