Eucharistie: 28 septembre 2025
26ème dimanche du Temps Ordinaire — Année C
La richesse ne dure pas
Première lecture
Comme il y a une semaine, la liturgie de ce matin revient sur le prophète Amos. Vers l’an 760, ce prophète prend la parole pour dénoncer le comportement des puissants et des riches. En effet, il s’adresse à « ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion, et ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie » (6,1)[1]. En interprétant mal le fait que Dieu a choisi Israël[2], ces riches pensent qu’Israël est la première des nations et eux, les riches, sont les grands de « la première des nations » (Am 6,1b). Par conséquent, ils profitent des pauvres pour s’enrichir. Ils imposent un régime de violence (6,3). Ils ont une vie dorée : les meubles de leurs maisons, leur nourriture, leurs boissons, les soins à leurs corps, leurs fêtes : tout est de première qualité. Et ce luxe, cette richesse enivrante leur ferme les yeux et le cœur : « ils n’éprouvent aucune souffrance pour la ruine qui menace les tribus de Joseph » (v. 6), donc tout le Royaume du nord[3]. Mais cette ruine va tomber sur les petits gens, et aussi sur les grands.
« C’est pourquoi », dit Amos au verset 7, « ils vont être exilés ». Et ces grands, ces grands qui « se font des onctions avec les premières huiles », seront « les premiers parmi les exilés ». C’est ainsi que « disparaîtra la confrérie des étendus sur les divans » (v. 7).
Écoutons cette page dans laquelle le prophète dénonce la fausse assurance des puissants, une fausse assurance qui les aveugle et précipite la catastrophe[4].
Lecture du livre du prophète Amos (6,1a et 4-7)
Ainsi parle le Seigneur de l’univers :
1a Malheureux ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion,
et ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie.
4 Ils sont couchés sur des lits décorés d’ivoire,
ils sont étendus sur leurs divans,
ils mangent les meilleurs agneaux du troupeau
et les veaux les plus tendres de l’étable.
5 Ils s’agitent au son de la harpe,
comme David, ils s’inventent des instruments de musique.
6 Ils boivent du vin dans des coupes,
ils se font des onctions avec les premières huiles,
mais ils n’éprouvent aucune souffrance pour la ruine qui menace les tribus de Joseph.
7 C’est pourquoi, maintenant, ils vont être exilés,
et les premiers parmi les exilés !
Et disparaîtra la confrérie des étendus sur les divans.
Parole du Seigneur.
Psaume
Le psaume 146 a été composé, très probablement, au deuxième siècle avant Jésus Christ[5]. Il s’agit d’une période dans laquelle, au Proche Orient, des souverains s’imposent comme des divinités. Notre poème conteste ces abus et affirme que le seul souverain est Yahvéh : c’est lui seul le roi (v. 10). Et son règne ne veut pas transformer les hommes en esclaves. Au contraire, il fait sortir les hommes de l’obscurité de l’esclavage vers la lumière d’une vie en pleine liberté.
C’est ce qu’on lit dans la seconde partie du psaume (vv. 5-10) qui s’ouvre avec une béatitude et une invitation : « Heureux et en marche qui a le Dieu de Jacob à son aide ». Dans cette section, le poète mentionne les différentes actions de Dieu. Elles sont surtout en faveur des pauvres que le poète évoque avec neuf mots : opprimés, affamés, prisonniers, aveugles, courbés, justes, fidèles, l’ orphelin et la veuve[6].
A la fin du psaume, le poète ajoute encore deux phrases : Dieu « rend tordu » le chemin des méchants, Dieu « règne pour toujours ». Dans sa façon de régner, le déséquilibre est énorme : Dieu rend tordu le chemin des méchants, tandis que – pour les pauvres – Dieu intervient avec neuf actions. Voilà comment le poète caractérise le comportement de Dieu dans l’histoire.
Devant la richesse de ces neuf actions de Dieu, la liturgie nous suggère de suivre l’indication que le poète donne au début du psaume (v. 1) :
Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur !
C’est avec ce refrain que nous pouvons réagir devant les actions que Dieu accomplit surtout en faveur des pauvres.
Psaume 146 (versets 6c-7. 8-9a. 9bc-10ab)
6c (Yahvéh) garde sa fidélité pour toujours,
7 il fait justice en faveur des opprimés,
il donne du pain aux affamés,
Yahvéh délie les prisonniers.
Refr. : Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur !
8 Yahvéh ouvre les yeux aux aveugles,
Yahvéh redresse les courbés,
Yahvéh aime les justes,
9a Yahvéh protège les fidèles.
Refr. : Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur !
9bc Quant à l’orphelin et à la veuve, il les embrasse
et rend tordu le chemin des méchants.
10ab Il règne, Yahvéh, pour toujours,
ton Dieu, ô Sion, pour génération et génération.
Refr. : Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur !
Deuxième Lecture
Avec la Première lettre à Timothée, nous sommes – probablement – vers la fin du premier siècle. Dans les communautés chrétiennes, des idées neuves circulent : elles menacent le tissu communautaire et sont contraires aux intuitions de Paul. Les communautés ont besoin de dirigeants fidèles à la tradition mais aussi capables de faire face aux nouveautés[7].
C’est ainsi que l’auteur de la lettre revient sur le message de Paul. Il écrit à des communautés qui ont comme référence Timothée, un étroit collaborateur de Paul, celui que Paul qualifiait comme « notre frère Timothée » (1 Thess 3,2).
A Timothée, qualifié comme « homme de Dieu » et à chaque chrétien[8], l’auteur adresse d’abord (vv. 11-14) une exhortation. Il faut rechercher, « intensément, la justice, l’attachement à Dieu, la foi, l’amour, la persévérance et la douceur » (v. 11). Voilà ce à quoi on est appelé. Pour Timothée et aussi pour nous, cet appel est lié à la profession de foi. Dans des moments différents, surtout dans la liturgie, chacune et chacun de nous a prononcé sa belle déclaration de foi devant de nombreux témoins (v. 12). Et l’auteur de notre lettre compare notre déclaration au témoignage que Jésus a rendu dans « sa belle déclaration face à Ponce Pilate » (v. 13). Un peu comme Jésus, nous devons donc être cohérent(e)s avec ce que nous avons dit dans notre belle profession de foi. C’est seulement ainsi que nous pourrons garder « le commandement du Seigneur » (v. 14). A travers ce mot « commandement », la lettre fait référence à l’ensemble des exigences qui découlent de la foi et de l’accueil de l’Évangile[9]. Voilà comment nous devons nous comporter jour après jour, avec constance « jusqu’au jour où notre Seigneur Jésus Christ apparaîtra » (v. 14).
Cette référence au retour du Christ permet à l’auteur de notre lettre (aux vv. 15-16) de présenter Dieu comme le Seigneur, l’unique Seigneur de l’histoire et aussi au-delà de l’histoire, pour toujours.
De la Première lettre à Timothée (6,11-16)
11 Toi, homme de Dieu, recherche, intensément, la justice, l’attachement à Dieu, la foi, l’amour, la persévérance et la douceur. 12 Mène le beau combat, celui de la foi : tu dois saisir la vie éternelle ! C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle déclaration devant de nombreux témoins. 13 Et maintenant, devant Dieu, qui donne la vie à toutes choses, et devant le Christ Jésus, qui a rendu témoignage par sa belle déclaration face à Ponce Pilate, je te le recommande : 14 garde le commandement du Seigneur, en vivant d’une façon correcte et irréprochable jusqu’au jour où notre Seigneur Jésus Christ apparaîtra.
15 Cette manifestation aura lieu au moment fixé par Dieu. Il est l’heureux et le seul Gouvernant, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. 16 Il est le seul qui ne meurt pas. Il habite une lumière que nous ne pouvons pas atteindre. Personne ne l’a vu, personne ne peut le voir. À lui honneur et puissance pour toujours ! Amen.
Parole du Seigneur.
Alléluia. Alléluia.
Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche,
pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. (cf. 2 Cor 8,9)
Alléluia.
Évangile
L’Évangile de ce matin est un récit célèbre, une histoire imaginaire : celle de l’homme riche et du pauvre Lazare. L’homme riche est n’importe qui : Jésus ne lui donne pas un nom, il se limite à évoquer ses vêtements très riches et ses fêtes. Ce riche n’est pas un homme qui fait et qui dit le mal. Tous simplement, il ignore le pauvre qui est devant sa porte. Au contraire, la présentation du pauvre est faite avec amour[10]. Jésus – c’est le seul cas dans toutes ses paraboles – lui donne un nom, Lazare, c’est-à-dire “Dieu a secouru”. Et il insiste sur sa condition de malade, sur ses « plaies » (vv. 20s) dont seulement les chiens s’occupent.
Ce récit est un peu semblable à un récit de l’Égypte ancienne. On racontait qu’un père et un fils assistaient à l’enterrement solennel d’un riche et à l’enterrement misérable d’un pauvre. Devant ces deux funérailles, le père souhaite partager le sort du riche. Mais le fils soutient le contraire et, pour convaincre son père, l’emmène au royaume des morts. Là, le riche est châtié tandis que le pauvre est accueilli auprès de la divinité[11].
Jésus, qui dans une autre circonstance souligne que l’essentiel de la foi chrétienne c’est de donner à manger à celui qui a faim (cf. Mt 25,31-46), exprime la même chose dans la parabole de ce matin. La foi a une exigence précise : prendre soin des pauvres, des marginalisé(e)s.
Dans l’Évangile de Luc, la parabole a une double finale. Aux versets 27-29, le riche, après avoir demandé à Abraham une goutte d’eau pour sa soif, voudrait au moins protéger sa famille : « envoie Lazare dans la maison de mon père, car j’ai cinq frères. Qu’il leur apporte son témoignage, afin qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de tourment » (vv. 27-28). Mais Abraham refuse cette requête : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent » (v. 29). La parole de Moïse et des prophètes est déjà suffisante pour nous pousser à nous ouvrir aux pauvres.
Enfin les versets 30-31. Ici Luc évoque, indirectement, la résurrection de Jésus. Si la parabole de ce matin ne réussit pas à nous ouvrir aux marginalisé(e)s, aux dizaines et dizaines de Lazare que nous rencontrons dans nos quartiers, en sortant d’ici à midi et en rencontrant Jésus lui-même ressuscité, serons-nous capables de l’écouter ? La fin du récit est pessimiste : « S’ils n’écoutent ni Moïse ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne se laisseront pas persuader » (v. 31).
Évangile de Jésus Christ selon Luc (16,19-31)
Jésus disait aux pharisiens : 19 Un homme était riche, et il s’habillait avec des vêtements très beaux et très chers, faisant la fête chaque jour brillamment. 20 Un pauvre, appelé Lazare, était couché devant la porte du riche, couvert de plaies. 21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
22 Or il arriva que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans les bras d’Abraham. Le riche aussi mourut et fut enterré. 23 Et, dans le séjour des morts, en proie aux tourments et levant les yeux, il voit de loin Abraham avec Lazare dans ses bras.
24 Alors il s’écria : « Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare pour qu’il mette le bout de son doigt dans l’eau ; il me rafraîchira la langue, en effet, je souffre dans cette flamme ». 25 Mais Abraham dit : « Enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare, pareillement, les maux. Maintenant, ici, il est consolé, et toi, tu souffres. 26 Et, en plus de tout cela, entre vous et nous, un grand abîme a été fixé ; ainsi, ceux qui veulent passer d’ici vers vous ne le peuvent pas et on ne peut pas non plus traverser de là vers nous ».
27 Le riche dit : « Je te prie alors, père, envoie donc Lazare dans la maison de mon père, 28 car j’ai cinq frères. Qu’il leur apporte son témoignage, afin qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de tourment ». 29 Abraham lui dit : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ».
30 Le riche dit : « Non, père Abraham, mais si quelqu’un de chez les morts vient jusqu’à eux, ils changeront de comportement ». 31 Abraham lui dit : « S’ils n’écoutent ni Moïse ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne se laisseront pas persuader ».
Acclamons la Parole de Dieu.
Prière d’ouverture
Seigneur, tu es un Dieu qui connaît tout,
c’est toi qui mets devant tous
la vie et la mort, le bien et le mal :
tu soulèves de la boue le malheureux,
toi qui veilles toujours sur le chemin des justes :
merci, Seigneur.
Et fais, Seigneur, que reviennent à la foi au moins les pauvres. Amen[12].
[David Maria Turoldo, prêtre et poète, Italie : 1916-1992]
Prière des fidèles
* La page d’Amos nous a mis devant les yeux des personnes qui mettent leur confiance dans les richesses et ne savent pas comprendre qu’elles préparent ainsi la ruine, la leur et celle des autres.
Aide-nous, Seigneur, à nous rendre compte qu’il y aura un avenir seulement dans la solidarité et le partage.
* Seigneur, tu prends soin des affamés, des aveugles, de l’orphelin et de la veuve. Le poète du psaume a souligné fortement ton engagement pour ces personnes. Et celles et ceux qui mettent en toi leur espoir et qui agissent un peu comme toi, sont « heureux et en marche ». Sois notre « aide », Seigneur, sur ce chemin.
* La Lettre à Timothée nous demande d’être cohérentes et cohérents par rapport à la « belle déclaration » que nous faisons chaque dimanche devant toi et devant de nombreux témoins, nos sœurs et nos frères ici à côté de nous. Et que cette cohérence puisse prendre corps dans notre engagement pour la justice, un engagement vécu dans l’amour et la douceur.
* Jésus notre frère, le riche que tu mentionnes dans la parabole ne fait rien de mal : il ne tue pas, il ne vole pas, il ne trompe pas les autres. Il ne fait rien de mal. Mais il ne fait aussi rien de bien : il ne sait pas voir un pauvre, il le laisse souffrir et mourir. Que ton récit, Jésus, nous ouvre les yeux. Qu’il nous ouvre sur la solitude des autres.
[1] A l’origine, le texte mentionnait seulement les riches de Samarie ; plus tard, à ces personnes on a ajouté la référence aux habitants de Jérusalem, « dans Sion ». Pour cet ajout, cf. A. Deissler, Zwölf Propheten. Hosea – Joël – Amos, Echter, Würzburg, 1981, p. 119.
[2] Cf. J. Jeremias, Der Prophet Amos. Übersetzt und erklärt, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1995, p. 88.
[3] Ici, comme dans d’autres textes des prophètes, le terme « Joseph » est utilisé pour évoquer toutes les tribus du Royaume du Nord. Cf. dans O. Odelain et R. Séguineau, Dictionnaire des noms propres de la Bible, Cerf, Paris, 2002, p. 213.
[4] Cf. S. Amsler, Amos, dans E. Jacob – C.-A. Keller – S. Amsler, Osée. Joël. Amos. Abdias. Jonas, Labor et fides, Genève, 1982, p. 219.
[5] Cf. E. Zenger, Exkurs: Die Komposition des sog. Kleinen Hallel bzw. Schluss-Hallel: Ps 146-150, dans F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Psalmen 101-150, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2008, p. 809.
[6] J.-L. Vesco, Le psautier de David traduit et commenté, Cerf, Paris, 2006, p. 1347.
[7] A. Myre, Lettres pastorales, dans la bible, Bayard – Médiaspaul, Paris – Montréal, 2001, p. 3066.
[8] Cf. M. Dibelius, Die Pastoralbriefe, Mohr, Tübingen, 1966, p. 66s.
[9] Cf. M. Gourgues, Les deux lettres à Timothée. La lettre à Tite, Cerf, Paris, 2009, p. 226.
[10] Cf. O. Da Spinetoli, Luca. Il Vangelo dei poveri, Cittadella, Assisi, 1982, p. 531.
[11] Cf. F. Bovon, L’Évangile selon saint Luc. 15,1-19,27, Labor et fides, Genève, 2001, p. 104. Cf. aussi G. Gourgues, L’au-delà dans le Nouveau Testament, dans « Cahiers Évangile » 41, 1982, p. 20.
[12] D. M. Turoldo – G. Ravasi, « Nella tua luce vediamo la luce». Tempo ordinario. Solennità del Signore. Feste dei santi, San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2004, p. 600s et 597.