Eucharistie, 5 octobre 2025
27ème dimanche du Temps Ordinaire — Année C
Aujourd’hui, si vous écoutiez sa voix… » (Ps 95,7)
Première lecture
Comme première lecture, ce matin nous allons écouter deux petits textes d’Habacuc. De cet auteur nous ne savons presque rien. Nous connaissons seulement le nom, Habacuc. En hébreu, son nom signifie « celui qui embrasse ». Probablement, ce mot veut nous parler d’une personne qui embrasse son peuple, qui le réconforte, qui le tient dans ses bras[1]. Nous savons aussi qu’Habacuc est un prophète et que Dieu s’est manifesté à lui à travers une « parole », une « vision »[2].
Du livre d’Habacuc, nous allons lire deux petits textes. D’abord la première page (1,2-3). Elle nous donne la lamentation que le prophète adresse à Dieu devant la violence et l’oppression qui règnent dans le royaume de Juda. La prière du prophète a commencé déjà au passé[3]. Voilà pourquoi, en s’adressant à Dieu, il lui dit : « Jusqu’à quand ? ». Et le prophète continue en lui demandant : « Pourquoi ? ». En effet, Habacuc vit dans une situation un peu comme la nôtre, une situation dans laquelle il n’y a que « pillage et violence » (v. 3) ; il n’y a que disputes et discorde (v. 3), et dans cette situation le méchant l’emporte sur le juste.
Dans le second petit texte (2,2-4), nous avons la réponse de Dieu. Celle-ci lui est annoncée comme une vision, et le prophète devra la mettre par écrit, car elle va se réaliser seulement plus tard ; mais elle se réalisera, sans aucun doute[4]. Devant cette parole de Dieu, il y a l’insouciant, celui qui ne la prend pas au sérieux[5]. Mais il y a aussi ceux qui vont prendre soin de cette parole. Celui ou celle qui va prendre au sérieux cette parole est qualifié comme une personne juste. Et, même dans une situation très difficile, « le juste vivra par sa fidélité »[6]. Cette affirmation peut nous orienter et encourager dans notre vie[7].
Lecture du livre du prophète Habacuc (1,2-3 et 2,2-4)
12 « Jusqu’à quand, Yahvéh, appellerai-je au secours sans que tu entendes ? Jusqu’à quand crierai-je vers toi : “Violence !” sans que tu sauves ? 3 Pourquoi me fais-tu voir le mal ? Pourquoi regardes-tu notre misère sans réagir ? Pillage et violence sont devant moi. Il y a des disputes, et discorde se déchaîne.
22 Et m’a répondu, Yahvéh, il m’a dit :
« Écris la vision, écris-la clairement sur les tablettes afin qu’on puisse la lire couramment. 3 Car c’est encore une vision pour le temps fixé, elle tend vers son accomplissement, elle ne trompera pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra sans tarder. 4 Celui qui ne la prend pas au sérieux, sa conscience n’est pas loyale en lui ; mais le juste vivra par sa fidélité ».
Parole du Seigneur.
Psaume
Le psaume 95 a une structure un peu complexe[8]. Deux voix différentes entrent en jeu.
La première voix est celle d’un soliste qui invite la communauté à célébrer Dieu, Dieu qui est la source du salut (vv. 1-2) : il est celui qui nous a créé(e)s (v. 6).
Après cette déclaration faite par le soliste, la communauté intervient pour souligner les soins que Dieu a pour elle. En effet, la communauté déclare : « Oui, il est notre Dieu et nous sommes le peuple dont il est le berger » (v. 7)[9].
Ensuite, il y aura une voix qui nous met en garde. Le risque, notre risque comme celui d’Israël dans le désert, est celui de l’infidélité, du manque de confiance par rapport à Dieu. C’est ce qui s’est passé à Mériba, comme le livre des Nombres (20,1-13) l’a décrit. Et pourtant, avoue le poète au nom de Dieu, « pourtant, ils avaient vu ce que j’avais fait » (v. 9).
Par rapport à ces expériences négatives, le poète nous invite à un comportement bien différent : « Aujourd’hui, si vous écoutiez sa voix… ! Ne durcissez pas votre cœur » (vv. 7d-8).
A travers cette écoute, à travers cette ouverture du cœur, nous pouvons nous ouvrir à l’espoir. Même plongé(e)s dans la souffrance et dans des problèmes qui nous apparaissent sans solution, nous pouvons ouvrir notre cœur à Dieu, nous pouvons constater, jour après jour, qu’il est « notre Dieu » (v. 7a). Il ne nous abandonne pas[10] : nous sommes « le peuple dont il est le berger » (v. 7b).
Écoutons ce texte et intervenons, toutes et tous ensemble, avec ce refrain qui reprend les mots du poète (vv. 8a et 7d) :
Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur,
mais écoutez la voix du Seigneur ! (cf. Ps 94,8a.7d)
Psaume 95 (versets 1-2. 6-7ab. 7d-8a.9)
1 Allez, crions notre joie pour Yahvéh,
acclamons le Rocher qui nous sauve,
2 venons devant son visage pour le remercier,
acclamons-le avec nos musiques.
Refr. : Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur,
mais écoutez la voix du Seigneur !
6 Venez, nous allons nous incliner, nous prosterner,
nous mettre à genoux devant Yahvéh qui nous a faits !
7ab Oui, il est notre Dieu
et nous sommes le peuple dont il est le berger.
Refr. : Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur,
mais écoutez la voix du Seigneur !
7d Aujourd’hui, si vous écoutiez sa voix… !
8a Ne durcissez pas votre cœur comme à Mériba,
9 là, vos pères m’ont provoqué et mis à l’épreuve ;
pourtant, ils avaient vu ce que j’avais fait.
Refr. : Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur,
mais écoutez la voix du Seigneur !
Deuxième lecture
Ce dimanche, et aussi dans les trois suivants, nous allons lire des pages de la Deuxième lettre à Timothée, celui que Paul considère comme son enfant bien-aimé.
La page de ce matin est très personnelle : l’apôtre, qui s’exprime à la première personne, s’adresse à Timothée en lui disant : « je te rappelle ceci ». Et le rappel est développé en trois points[11]. D’abord raviver le don que Timothée a reçu de la part de Dieu : « garde bien vivant le don de Dieu, que tu as reçu quand j’ai posé les mains sur ta tête » (v. 6). Ce don, en quoi consiste-t-il ? C’est un esprit qui « nous remplit de force, d’amour et de sagesse » (v. 7).
La deuxième exhortation (v. 8) est à ne pas rougir de l’évangile. Il ne faut pas reculer devant l’annonce de l’évangile, même si cela peut provoquer des souffrances. Et dans ses souffrances, Timothée sera solidaire avec l’auteur de la lettre.
La troisième exhortation (vv. 13-14) concerne « les saines paroles » que Timothée a reçues. Il les a reçues comme « un beau trésor », un trésor à garder avec l’aide de l’Esprit Saint. C’est un message adressé à Timothée ; mais c’est aussi un message adressé à chacune et à chacun de nous.
Lecture de la Deuxième lettre à Timothée (1,6-8 et 13-14)
Mon bien-aimé, 6 je te rappelle ceci : garde bien vivant le don de Dieu, que tu as reçu quand j’ai posé les mains sur ta tête. 7 En effet, l’esprit que Dieu nous a donné n’est pas un esprit de peur. Au contraire, cet esprit nous remplit de force, d’amour et de sagesse.
8 N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends part avec moi aux souffrances liées à l’annonce de l’Évangile.
13 Prends comme modèle les saines paroles que tu as reçues de moi. Tu les as reçues avec la foi et l’amour que le Christ Jésus nous donne. 14 On t’a confié un beau trésor. Garde-le avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.
Parole du Seigneur.
Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ;
c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. (1 Pierre 1,25)
Alléluia.
Évangile
Le chapitre 17 de l’Évangile de Luc insiste sur le pardon. Il faut accorder le pardon à son frère qui commet une faute dans la communauté, il faut lui accorder son pardon aussi lorsqu’il « commet une faute contre toi » (v. 4). Et ce pardon est sans limites, même si ton frère « sept fois le jour » commet une faute. La blessure relationnelle, si ton frère retourne vers toi, doit être soignée : ni indifférence, ni silence, ni ressentiment[12].
C’est probablement devant cette exigence du pardon[13], que les disciples, conscients de leur faiblesse, demandent à Jésus : « Augmente en nous la foi ! » (v. 5). Devant cette requête, la réaction de Jésus est surprenante : au lieu de demander une foi plus grande, il faut tirer profit de la foi qu’on a[14]. Même dans sa faiblesse, même dans sa foi petite « comme une graine de moutarde », le croyant peut trouver la force de pardonner.
Après cette réflexion sur la foi, Jésus invite les disciples à prendre conscience de leur condition et de leur relation envers Dieu. Les croyants sont comparables à des serviteurs. Même après une journée de travail dans les champs ou dans la surveillance des troupeaux, à la maison ils doivent accomplir de nouvelles tâches : préparer et servir le repas au maître, afin qu’il puisse manger et boire. Seulement plus tard, le serviteur pourra avoir un repas de qualité[15], manger et boire, comme le maître.
En tout cas – et c’est le message du dernier verset – le serviteur doit accomplir son devoir sans s’attendre quelque félicitation ou récompense particulière. Dieu a besoin des hommes et des femmes[16], mais eux et elles ne doivent pas se croire particulièrement indispensables. Ce message est comparable à ce qu’un abashingantahe juif enseignait deux décennies avant la rédaction de notre Évangile. A ceux qui consacraient leur vie à l’étude de la Loi de Moïse, il recommandait : « si tu as appris beaucoup de la Loi de Moïse, n’attribue pas de mérite à toi-même. En effet, c’est pour cela que tu as été créé »[17].
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (17,5-10)
5 Les apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
6 Le Seigneur dit : « Si vous avez de la foi, même petite comme une graine de moutarde, vous pouvez dire à cet arbre : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéira.
7 « Supposons ceci : l’un d’entre vous a un serviteur qui cultive les champs ou qui garde les troupeaux. Lorsqu’il voit le serviteur revenir des champs, va-t-il lui dire : “Viens vite te mettre à table” ? 8 Non, il lui dira plutôt : “Prépare mon repas, puis change de vêtements pour me servir pendant que je mange et je bois. Après quoi, tu pourras manger et boire à ton tour”. 9 Aura-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui avait été commandé ?
10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce que Dieu vous commande, dites : “Nous sommes des serviteurs ordinaires, nous avons fait seulement ce que nous devions faire” ».
Acclamons la Parole de Dieu.
Prière d’ouverture
Ne me donne pas, ô Maître,
la gloire de ce monde, la gloire vaine,
ne me donne pas la richesse qui passe,
ni des talents d’or, ni un trône sublime,
ni le pouvoir sur ces réalités périssables !
Mets-moi avec les humbles,
avec les pauvres et les doux,
que je devienne, moi aussi, et humble et doux ;
ne T’irrite pas, ne détourne pas de moi Ton visage,
mais enseigne-moi à accomplir Ta volonté,
car je ne cherche pas à ce que ma volonté se fasse,
mais la Tienne, afin de Te servir, Miséricordieux[18].
[Syméon le nouveau théologien : Byzance 949-1022]
Prière des fidèles
* La situation vécue par Habacuc est vraiment comparable à la nôtre : violence, pillage, discorde qui se déchaîne. Mais Dieu, à travers le prophète, nous encourage. Nous devons nous engager pour la justice. C’est le seul choix correct, le seul choix qui nous ouvre à l’avenir. En effet, « le juste », celui qui s’engage pour la justice, « vivra par sa fidélité ». Soutiens-nous, Seigneur, sur ce chemin.
* Seigneur Dieu, encore aujourd’hui, à travers ton Esprit, tu nous adresses ta parole. Eh bien, aide-nous à ne pas avoir un cœur de pierre. Aide-nous à ne pas faire comme les Israélites qui, dans le désert, t’ont mis à l’épreuve. Et « pourtant, ils avaient vu » ce que tu avais fait.
* La lettre à Timothée nous exhorte à prendre comme modèle de référence les paroles de la Bonne Nouvelle, les « saines paroles » que nous avons « reçues avec la foi et l’amour que le Christ Jésus nous donne ». Donne-nous ton Esprit, Jésus : il nous permettra de garder ces paroles et de les mettre en pratique jour après jour.
* Trop fréquemment, hélas, nous travaillons en vue de recevoir une reconnaissance pour ce que nous faisons. Mais l’Évangile nous invite à travailler en ayant conscience de nos limites, et à nous réjouir de pouvoir être à ton service. Permets-nous, Jésus notre frère, d’accomplir ce que tu nous demandes et de nous en réjouir sans chercher une reconnaissance ailleurs.
[1] Cf. D. Scaiola, Naum, Abacuc, Sofonia. Introduzione, traduzione e commento, Edizioni San Paolo, Cinisello Balsamo (Milano), 2013, p. 64.
[2] Cf. E. Zenger, Il libro dei dodici profeti, dans E. Zenger (ed.), Introduzione all’Antico Testamento, Queriniana, Brescia, 2008, p. 849.
[3] Cf. A. Spreafico, La voce di Dio. Per capire i profeti, EDB, Bologna, 2014, p. 290.
[4] R. Rendtorff, Teologia dell’Antico Testamento. Volume primo: sviluppo canonico, Claudiana, Torino, 2001, p. 319.
[5] Cf. D. Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament. Tome 3. Ézéchiel, Daniel et les 12 Prophètes, Éditions universitaires – Vandenhoeck & Ruprecht, Fribourg – Göttingen, 1992, p. 844.
[6] Pour la signification du mot hébreu traduit par « fidélité », cf. G. Savoca, Abdia. Naum. Abacuc. Sofonia. Nuova versione, introduzione e commento, Paoline, Milano, 2006, p. 116.
[7] Pour le rôle de cette affirmation dans l’activité du prophète, cf. U. Wilckens, Studienführer Altes Testament, Fontis, Brunnen – Basel, 2015, p. 304s.
[8] Pour la structure du psaume, on peut lire F.-L. Hossfeld, Psalm 95, dans F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Psalmen 51-100, Herder, Freiburg – Basel – Wien, 2000, p. 662ss.
[9] Pour les difficultés du texte hébreu de ce verset, cf. D. Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament. Tome 4. Psaumes, Academic Press – Vandenhoeck & Ruprecht, Fribourg – Göttingen, 2005, p. 667-669.
[10] Cf. M. Girard, Les psaumes redécouverts. De la structure au sens (Ps 51-100), Bellarmin, Montréal, 1994, p. 577.
[11] Cf. M. Gourgues, Les deux lettres à Timothée. La lettre à Tite, Cerf, Paris, 2009, p. 251ss.
[12] Cf. D. Marguerat et E. Steffek, Évangile selon Luc, dans Le Nouveau Testament commenté, sous la direction de C. Focant et D. Marguerat, Bayard – Labor et fides, Paris – Genève, 2012, p. 353.
[13] Cf. H. Klein, Das Lukasevangelium, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2006, p. 560.
[14] W. Schmithals, Das Evangelium nach Lukas, TVZ, Zürich, 1980, p. 173.
[15] Cf. H. Klein, Das Lukasevangelium, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2006, p. 561.
[16] Cf. F. Bovon, L’Évangile selon saint Luc. 15,1-19,27, Labor et fides, Genève, 2001, p. 127.
[17] Cf. H. L. Strack – P. Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, Beck, München, 1924, Bd. II, S. 235. Une idée semblable se retrouvera dans le journal intime de Marc Aurèle : « L’humain, né pour la bienfaisance, lorsqu’il accomplit quelque action bienfaisante, ou simplement s’il aide son prochain dans les choses ordinaires, agit conformément à sa constitution et il a, ainsi, sa propre récompense, d’être soi-même » (Pensées 9,42).
[18] A. Chafigoulina, Les 100 plus belles prières du monde, choisies et présentées, Calmann-Lévy, Paris, 1999, p. 166.